Quand on accuse quelqu’un, il faut prouver ce que l’on avance. Il aura fallu un peu plus d’un mois à l’avocat de la FFT pour étayer sa preuve. Vingt-sept témoins ont prêté serment, 265 documents ont été présentés à la Cour. C’est beaucoup. Maintenant que la parole est à la défense, en voici un résumé succinct et digeste. Opération Polaroid Un des documents-phares de la preuve est ce qu’on appelle « l’Opération Polaroid », une étude de terrain sur les services en français disponibles aux TNO réalisée par la firme Nadeau, Beaulieu et Associés. Le 11 février 1999, de façon simultanée, 7 ministères et 17 agences gouvernementales ont été contactés à Yellowknife, Inuvik, Iqaluit (qui faisait alors partie des TNO), Hay River et Fort Smith. Différents services en français leur ont été demandés. Voici leurs constatations : 1) 98% des bureaux n’offre pas d’eux-mêmes un service en français, 2) 14 % des préposés gouvernementaux contactés peuvent s’exprimer en français, 3) 75 % des documents ou des formulaires gouvernementaux n’étaient pas offerts en français le jour de la requête. Parmi ceux-là, 21 étaient disponibles, mais il fallait patienter au moins 24 h pour les obtenir, 4) dans 58 % des cas, il a fallu formuler la demande en anglais. D’autres « Opérations Polaroïd » ont été menées. Elles démontrent des améliorations dans certains secteurs, des régressions dans d’autres, jamais des résultats jugés suffisants par la FFT. À l’hôpital Beaucoup de témoins appelés à la barre par les demandeurs étaient là pour raconter leurs mésaventures avec le système de santé des TNO. Dans biens des cas, le service en français n’était pas disponible dans les hôpitaux situés dans les communautés où l’on retrouve une concentration appréciable de francophones. Souvent le service en français s’avère être un service d’interprétation ce que les plaignants ne considèrent pas comme un service équivalent à celui offert en anglais. Un témoin, Suzanne Houde, aurait même dû se rendre au Québec pour une intervention chirurgicale, car elle n’arrivait pas à obtenir un service en français à l’hôpital Stanton de Yellowknife. Le directeur de L’Aquilon, Alain Bessette, a quant à lui raconté qu’il avait demandé un service en français lors d’une visite à l’hôpital et que le coordonnateur des services en français lui avait répondu que, depuis le temps qu’il résidait aux TNO, il devait être assez bon en anglais pour s’en passer. Depuis ce temps, a-t-il ajouté, il ne demande plus le service. Communications publiques Les demandeurs soutiennent que si le gouvernement des TNO respectait sa Loi sur les langues officielles (LLO), ses communications publiques devraient alors être faites en français aussi. C’est à cet effet qu’ils ont présenté à la Cour plusieurs pages du site Web du GTNO qui ne sont disponibles qu’en anglais. Des pages des sites gouvernementaux du Nunavut et du Yukon, qui font une plus grande place au français, selon les demandeurs, ont aussi été présentées. Les hansards, le verbatim des débats de l’Assemblée législative, qui ne sont disponibles que dans la langue de l’Assemblée, ont aussi été montrés en preuve. Le rapport Bastarache Rédigé en 1986 par le juriste Michel Basstarache (aujourd’hui, M. Bastarache est juge à la Cour suprême du Canada), le Rapport sur la mise en application de la Loi sur les langues officielles des Territoires du Nord-Ouest détaille un plan d’actions à entreprendre pour la mise en place de la LLO, dont la première mouture a été votée en 1984. Ce rapport prévoit la création de plusieurs postes désignés bilingues. Il propose des initiatives pour offrir des cours de niveau post-secondaire en français. Il propose que « chaque hôpital soit à tout moment en mesure de fournir, en français, des informations générales, des services d’ambulance et des services d’urgence ». Au total, 298 recommandations y sont présentées. Les demandeurs argumentent que l’inaction du gouvernement, alors qu’un tel plan de mise en oeuvre existe depuis les balbutiements de la LLO, constitue une forme de mauvaise foi. Correspondances La majorité de la preuve est épistolaire. Des dizaines de correspondances entre la FFT et des institutions gouvernementales ont été colligées. Il s’agit parfois de prises de position de la FFT dénonçant les manquements à la Loi, parfois des documents qui rendent compte d’offres faites par la FFT pour aiguiller le GTNO en matière de services en français, parfois des réponses qui démontrent, aux yeux de la FFT du moins, un manque de volonté à faire appliquer la Loi. Mentionnons aussi des lettres adressées à la FFT émanant du commissariat aux langues officielles rédigées en anglais. Évidemment la liste de documents présentés en preuve est beaucoup plus longue que cela. Ces documents, hormis certains documents confidentiels comme des rapports médicaux, sont de nature publique. Vous pouvez les consulter par le biais du greffe de la Cour suprême. Pour des raisons logistiques cependant, il vous sera plus aisé d’y avoir accès une fois le procès entendu. D’autre part, le procès qui se poursuit jusqu’à la fin d’octobre est ouvert au public. La Cour siège du lundi au vendredi de 9 h à 17 h, dans la salle Copper de l’hôtel Yellowknife Inn. Un service d’interprétation est offert sur place.
La preuve

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