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le Jeudi 16 avril 2009 14:58 Francophonie

Centre correctionnel à Fort Smith « Ne parlez pas français! »

Centre correctionnel à Fort Smith « Ne parlez pas français! »
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Lors d’une visite au centre correctionnel des femmes, un francophone s’est vu interdire de parler en français à son épouse. Le directeur des centres pénitenciers des TNO affirme qu’un service de traduction était pourtant disponible. Mais, selon ses propos, « le personnel aurait oublié son existence. » 

Le 4 avril, une francophone d’Enterprise est incarcérée au centre correctionnel des femmes de Fort Smith. Son époux va la voir pour la première fois le 9 avril. Après quatre heures de route, il arrive à la prison, passe les contrôles de sécurité puis entre dans la pièce réservée aux visites. Là, il retrouve sa conjointe et une gardienne s’assoit auprès d’eux pour noter leur conversation. C’est la règle, pour des « raisons de sécurité », selon les explications de Brenda Gauthier, directrice de l’établissement.

Le couple est parfaitement bilingue, travaillant aux Territoires du Nord-Ouest depuis de nombreuses années, leur maîtrise de l’anglais a été acquise dans leurs emplois successifs. C’est en anglais que Michel Desjardins s’est adressé au personnel de la prison, c’est en anglais que son épouse vit à la prison.

Cependant, sous le coup de l’émotion lors de ces retrouvailles, le mari utilise spontanément sa langue maternelle française, dans laquelle il a grandi au Québec. Sa conjointe, originaire de l’est du pays, lui répond aussi en français. « Je suis allé la voir dès que j’ai pu. Quand je suis arrivé, j’ai parlé en français à ma femme. Je ne peux pas m’exprimer de la même façon en français ou en anglais! Ça fait 28 ans qu’on est ensemble, et 26 ans qu’on est mariés. »

Ainsi, comme le souligne M. Desjardins, en tant que citoyen canadien, porteur d’une des deux langues officielles du pays, il n’a pas compris pourquoi il lui était soudain interdit de parler dans sa langue maternelle, à lui comme à son épouse. « C’est contre la loi fédérale, s’exclame-t-il. La gardienne a dit « No French speaking », et au bout de quinze minutes elle s’est levée et elle a arrêté la visite. Après quatre heures de route, et parce que je parlais français avec ma femme, j’ai été obligé de partir au bout de quinze minutes. »

La frustration du couple s’élève d’un cran lorsque, au cours de la seconde visite le 11 avril, une autre gardienne réitère l’interdiction de parler français. Cette fois-ci, M. Desjardins a emmené une amie pour lui servir de témoin. La visite dure une heure, au cours de laquelle les époux communiquent en français malgré l’interdiction. La surveillante prend des notes, coupe leur conversation. Aux dires de M. Desjardins, elle ne parle ni ne comprend le français et, selon lui, elle écrit des commentaires plutôt basés sur l’expression et les postures des époux. Concernant la disponibilité d’un service de traduction au sein de la prison, M. Desjardins est formel sur le point suivant, « personne ne m’a informé que ce service existait, ni à la première visite, ni la seconde fois. »

Ce n’est pas l’avis recueilli auprès de la directrice de l’établissement. Mme Gauthier affirme, au contraire, qu’il avait été prié de demander un service de traduction. « Le personnel lui a fait savoir qu’il devait demander cette aide, dit-elle. Ce monsieur parlait anglais avec le personnel, nous ne pouvions pas savoir qu’il aurait besoin d’un service de traduction. » Au sujet de la première visite réduite à un quart d’heure, Mme Gauthier décline toute responsabilité de son équipe. « C’est lui qui est parti, qui a décidé d’arrêter cette visite, explique-t-elle. Il parlait en anglais et en français. Il ne nous a jamais dit qu’il aurait besoin de traduction, il aurait dû le demander. Nous n’avons pas de personnel bilingue. Nous allons toutefois examiner ce besoin et trouver une solution. »

Sauf que cette solution existe déjà. « Nous avons un outil de traduction, Can Talk, disponible en tout temps et en plusieurs langues, explique Colin Gordon, directeur général des centres correctionnels des TNO. Depuis deux ans, les prisons des territoires ont accès à cet outil, produit par une entreprise localisée à Winnipeg. Elle nous fournit un numéro en 1-800, il suffit de téléphoner pour avoir accès à un traducteur qui, par téléconférence, interprète en direct les propos échangés au cours d’une visite. » M. Gordon ne comprend pas pourquoi le personnel de Fort Smith n’a pas songé à l’utiliser. « Je ne connais pas exactement tous les faits, mais je pourrais voir dans cet oubli le fait que l’outil n’est pas utilisé, car il ne semble pas que des besoins soient exprimés pour cela. »

De son côté, Shannon Gullberg, commissaire aux langues officielles des TNO, souligne qu’un centre correctionnel de juridiction territoriale n’est pas obligé de mettre du personnel bilingue à disposition. En revanche, il apparaît nécessaire d’informer qu’un service de traduction peut être disponible si le besoin est là. « Je ne veux pas parler du cas précis de Fort Smith, déclare-t-elle. Je peux dire néanmoins que des employés de gouvernement doivent être conscients que des outils existent. Toute personne mise en face de ce genre de situation devrait savoir où et comment accéder à un service de traduction. »

Il apparaît toutefois qu’un processus d’assimilation peut être vite réalisé. C’est ce qui se produit lorsqu’un individu ne sait pas qu’un service existe et qu’il ne sait pas non plus qu’il doit le demander. Comme le détaille Mme Gullberg, «  d’une manière générale, si un employé n’est pas au courant d’une ressource ou bien qu’il le sait, mais ne le dit pas, cela peut être considéré comme un acte d’assimilation. »

Pour sa part, Léo-Paul Provencher, directeur de la Fédération franco-ténoise, ne comprend pas pourquoi le centre correctionnel n’a pas réagi face à cette situation. « La loi territoriale sur les langues officielles contient la notion d’offre active, qui stipule que les institutions gouvernementales ont la responsabilité de faire connaître l’offre de services dans les langues officielles, dit-il. C’est donc à l’établissement de faire la demande d’une ressource et d’informer à ce sujet. »