La radio francophone de Yellowknife se rappelle dix années de diffusion.
La communauté francophone de la capitale ténoise a trouvé, le 14 septembre 2001, un moyen efficace de se détourner de la morosité qui s’abattait sur le continent américain en même temps que s’effondraient les tours du World Trade Center : elle inaugurait le studio de leur toute nouvelle radio communautaire, le CIVR 103,5 FM.
Installé sur mesure au sous-sol de la Maison Laurent Leroux, qui abritait la plupart des organismes franco-ténois du moment, le studio de Radio Taïga incarnera la voix des francophones dans le Nord au long de ces dix dernières années.
Alors qu’elle tourne la page d’une nouvelle décennie, Radio Taïga s’est intéressée aux différents acteurs qui ont entouré son évolution. Durant le radiothon du dixième anniversaire qui s’est déroulé du 26 septembre au 1er octobre, plusieurs bénévoles, animateurs, et directeurs de la programmation se sont retrouvés derrière les micros (parfois par le truchement du téléphone) afin de se rappeler la radio francophone de leur époque.
Le fondateur de Radio Taïga, Michel Lefebvre, s’est fait modeste en décrivant l’énergie et l’effort qu’il a déployés afin de réaliser les études de marché, les demandes de financement, les arrangements techniques pour implanter le studio au sein de la Maison bleue. « Ce n’est pas seulement moi qui l’ai mis en onde, beaucoup de monde ont travaillé en arrière. Mais ce qui m’a motivé, c’est que je suis arrivé à Yellowknife en 1994 et pour les deux premières années, le seul contact francophone que j’avais était avec une collègue de CBC North qui parlait français aussi. Sauf le dimanche, quand passait l’émission À propos d’autres choses, diffusée sur la radio autochtone CKLB depuis 1992. C’était un moment pour moi où je ne sortais pas de chez moi, car j’étais en contact avec la francophonie de Yellowknife. » Impressionné par la qualité de l’émission hebdomadaire, Michel Lefebvre, a voulu perpétuer ce sentiment d’appartenance avec cette production yellowknifienne et finalement concrétiser cet élan avec les débuts du CIVR 103,5 FM, en 2001. Celui qui a donné son nom au studio de Radio Taïga se rappelle qu’au tout début, la licence demandait une production locale d’une quinzaine d’heures par semaine et assure qu’il y avait un bon bassin de bénévoles pour accomplir cette production.
Bénévole de longue date et acteur important dans l’implantation du projet radio, Benoît Boutin explique qu’il animait une émission dès les débuts de la radio et même avant. Depuis dix ans, il juge que le studio d’origine a été très bien entretenu, que le bois qui entoure la console amène toujours autant de chaleur au studio. « Une chose qui a changé pourtant, c’est qu’en dix ans, Radio Taïga est maintenant devenue une institution. Il y a dix ans, on commençait, il y a eu des hauts et des bas, mais maintenant, tous et chacun, du chauffeur de taxi à l’étudiant, savent qu’il y a une radio francophone communautaire à Yellowknife. Chapeau! »
Julie Plourde, qui a vécu deux ans à Yellowknife, est arrivée juste avant que Radio Taïga diffuse ses premières ondes. « C’était l’effervescence, on a mis sur pied un comité exécutif avec Michel Lefebvre comme président et la première employée était Christine Cadet. Je me souviens du lancement officiel, c’est sûr : Jeff Hipfner et moi-même avons eu la chance d’être les tout premiers à être derrière la radio. Ensuite on a embauché Sylvie Boisclair… c’était vraiment une belle époque », se remémore Julie Plourde, qui atteste qu’on pouvait sentir au sein de la communauté cette envie de voir la radio prendre son envol.
Depuis ses débuts, la radio francophone était administrée par l’Association franco-culturelle de Yellowknife (AFCY). En 2002, la direction de la radio revient à Sylvie Boisclair, qui s’investit sans compter dans ce projet. « J’étais directrice de Radio Taïga 24 heures sur 24, littéralement. Parce que le signal était corrompu et faible, j’étais toujours rendue à la radio. Si j’étais chez moi et que j’écoutais la radio et qu’il y avait un problème il m’incombait d’aller le régler. » Sylvie Boisclair avance qu’après deux ans, il fallait que la radio devienne « autosuffisante financièrement ». « Pour moi, l’accomplissement a été de garder le cap, car nous ne pouvions pas fonctionner comme une radio mature et nous ne pouvions pas fonctionner comme une radio qui vient de naitre avec toute l’effervescence qui vient avec. C’était un peu l’adolescence… »
En 2004, à cette juvénile époque de son développement, éclate donc la crise du financement de la radio communautaire. Il n’y a plus d’argent pour assurer un poste à la barre de la radio, ce sont les bénévoles qui assurent la mise en onde des émissions, qui font leur possible pour diffuser les publicités distribuées par le réseau francophone des Amériques, et pour régler les problèmes techniques constants du système Dalet. Jeff Hipfner passe ainsi le plus clair de ses temps libres dans le studio. Fait marquant durant ce bénévolat intensif, Jeff Hipfner reçoit des mains de l’Alliance des radios communautaire, le prix 2005 du gestionnaire de l’année. « À la fin, j’étais brulé, j’avais fait ma part, mon garçon est arrivé en même temps alors j’ai donné une formation à Alpha Sow en un mois et je suis parti. Je n’ai plus remis les pieds au studio pour un bout. »
Grâce à une subvention en vue d’un redressement en 2005, le poste de directeur de la programmation a été rétabli et assigné à Alpha Sow qui a réalisé, à ses yeux, l’étape la plus importante de cette époque. « Il fallait changer l’idée préconçue que la radio ne marchait pas. La communauté avait l’impression que la radio ne diffusait pas correctement. Je me suis assuré d’identifier les moments où des problèmes surgissaient. Et j’étais présent à ces heures-ci (6 h ou 23 h). Finalement, la population a repris confiance dans le signal de la radio », explique celui qui est resté au poste de la direction pendant deux ans.
Surfant sur cette vague de confiance et de soutien envers la radio, le nouveau directeur de l’AFCY, Roland Charest, a voulu exploiter le vrai potentiel communicatif de la radio. « Dès 2007, même si on n’avait plus d’argent, j’ai tout misé sur Rudy Desjardins pour aller chercher le financement publicitaire et pour dynamiser la radio », raconte M. Charest. Grâce à la mise en place d’une grille horaire structurée, l’animateur de la première émission matinale de Radio Taïga a réussi à fidéliser ses auditeurs. Rudy Desjardins explique que les gens attendaient quelque chose de leur radio : « l’émission du matin, celle du retour, des plages musicales variées, c’était important. Nous avons aussi diversifié nos services avec la mise en place de la disco mobile et la location de matériel. » Avec ce duo, la vente de publicités prend de l’essor, les activités organisées par l’Association sont également plus achalandées, car la voix francophone porte plus loin et rejoint plus de monde. Fruit de minces subventions, c’est aussi à cette époque qu’un premier poste de journaliste est mis en place à la radio. Ancien journaliste de L’Aquilon, Batiste Foisy incarne celui qui imposera une rigueur journalistique au sein de la programmation francophone.
Malgré cette ère fleurissante, la radio reste un fardeau financier pour l’AFCY, et la symbiose entre les deux organismes tend à s’essouffler. Au rythme des réunions publiques et des conseils d’administration, les choses se mettent en place pour que la radio puisse devenir plus indépendante et se soustraire de l’administration de l’Association. Le désir aussi de rapprocher les deux médias francophones se réalise en 2011 avec la création de la Société Radio Taïga (SRT) qui possède la même direction et le même conseil d’administration que le journal L’Aquilon. Durant cette année de transition où le CIVR quitte le nid de l’AFCY, Pierre Petiote, le directeur de la programmation de 2010 à 2011, réussit à faire participer de nombreux bénévoles à la production d’émissions locales, et cette diversité alimente cette vague d’engouement au sein de la communauté de la capitale ténoise. Sur ses ondes septentrionales, Radio Taïga remplit alors très bien son rôle de promoteur de talents émergents et de représentation communautaire. Une représentation communautaire qui s’étend depuis le mois de septembre 2011, alors que les salles de nouvelles des deux médias ont fusionné et que leurs journalistes travaillent de concert pour servir la communauté.
Alain Bessette, le directeur du journal et de la SRT, mais aussi bénévole de la première heure de Radio Taïga, a tenu à exprimer sa gratitude durant le concert-bénéfice des dix ans de Radio Taïga qui s’est déroulé le 1er octobre au soir : « Il faut aussi remercier chaudement tous les employés et bénévoles de l’Association franco-culturelle de Yellowknife. Il ne faut jamais oublier que c’est sous l’égide de l’AFCY et avec son soutien financier constant, que CIVR fête cette année ses dix ans en ondes. »
De l’avis de toutes ces personnes qui ont eu à cœur Radio Taïga, l’idée d’un signal radio diffusé à l’échelle territoriale a toujours été un objectif pour la communauté francophone. Durant leurs entrevues, plusieurs ont réaffirmé ce vœu alors qu’ils souhaitaient une excellente future décennie au CIVR 103,5 FM.
*L’auteur est maintenant le directeur de la programmation de la Radio
