Il y a la patrie des guerriers, celle qui fait mourir les gens. Pour le pacifiste, elle est notion ambigüe. N’a-t-on pas mené des guerres pour la sauver ou même pour en faire un empire? Eh bien oui. Mais en même temps, n’est-elle pas ce foyer où l’on trouve chaleur et réconfort au milieu de coutumes familières? Celle-là aussi existe bel et bien.
Elle abrite nos parents, frères, sœurs, amis, notre passé, notre langue et notre culture. Elle est la terre où s’enracinent nos traditions et nos rêves. Ses paysages et son sol semblent nous promettre la plus belle des existences.
Autant réelle qu’imaginée, cette patrie est faite de terre, de mer, de labeur, de bons repas, de rires, de pleurs et de chants, de femmes et d’hommes qui la modèlent au fils du temps à leur image.
Si on l’associe à un coin de pays, on trouvera probablement beaucoup de francophones capables de vous montrer la leur. Elle prendra la forme de la baie Sainte-Marie en Nouvelle-Écosse, d’une plage au sable dur où se brisent inlassablement les vagues du golfe Saint-Laurent sur les côtes du Nouveau-Brunswick, des mines et immenses forêts du Nord de l’Ontario. Elle étalera les couleurs tout en nuances des plaines de l’Ouest avant d’enjamber les Rocheuses. Elle ira même jusqu’à braver la toundra.
Pour la plupart des francophones, il existe en terre canadienne, un coin plus beau que les autres, familier, que l’on sent dans ses entrailles.
Il existe une patrie du français : la France. Le français s’y parle partout librement. Il s’étale dans les librairies, les disquaires et sur les devantures des magasins. Il anime l’atmosphère des bistrots. Les enfants le crient dans les parcs.
Les autres francophones dans le monde ne peuvent pas vivre pareille unité. Franco-Belges, Franco-Suisses, Africains, Canadiens d’expression française et autres, ont en commun de vivre dans un pays où leur langue n’est pas la seule à faire partie d’us et coutumes séculaires.
En terre canadienne, les héritiers de Molière tirent ce qu’ils peuvent du milieu qu’ils partagent avec les autres. Les Québécois en ont la plus grosse part. Viennent ensuite les Franco-Ontariens, les Acadiens puis les autres communautés, toutes en petites minorités, dispersées sur plus de quatre fuseaux horaires, des zones tempérées du Sud du pays jusqu’au pergélisol du Grand Nord.
En territoire, cela en fait le plus vaste où l’on fait usage du français dans le monde. C’est beaucoup en apparence. Hélas, il arrive que l’hostilité de la majorité l’altère quelque peu.
Il est légitime de vouloir se sentir chez soi. Cela vaut pour nous tous, francophones, ou tout bonnement êtres humains. Sans égard à la race, à la religion, à la langue, nous avons tous droit à la dignité sur cette terre.
Un jour, j’ai eu la chance de faire le tour d’un immense champ de blé dans l’Ouest, en moissonneuse-batteuse. Lepage était le nom de famille du conducteur. C’était en fin de journée. Le soleil commençait à pencher vers le crépuscule pendant que le blé se couchait pour la moisson. Par la voix de cet agriculteur, tout ce qu’il y avait autour, de la teinte ambrée de son champ à l’immense ciel, se décrivait par des mots français.
Il parlait des saisons, de la vie à la ferme avec ses grandeurs et ses misères… avec des mots et des sons familiers. Du haut de sa machine, il me faisait cadeau d’un pays qu’il n’était pas nécessaire de traduire.
Dans ces moments-là, on sent qu’on a une terre à soi. Et ça, c’est grâce à ces gens absents des tribunes. Ils ne font jamais les manchettes, mais ils ont choisi le français pour vivre le quotidien, sur un bateau, un tracteur, dans un bureau, à l’école… Partout. C’est en semant la terre de ses mots que l’on s’associe à elle.
Avec les excuses de l’auteur
Le texte Résistance et souvenirs publié la semaine dernière présentait un impair. L’auteur a désigné l’emplacement géographique de Val-Brillant alors qu’il voulait évoquer L’Anse-à-Brillant, situé sur la rive sud de la baie de Gaspé.