Existe-t-il un public francophone au Canada? Cette question s’est posée récemment lors d’un colloque jeunesse à l’Université d’Ottawa. Il en est ressorti d’autres, qui me semblent beaucoup plus importantes et difficiles à répondre. Faut-il se limiter au public francophone? Puis une autre… Jusqu’où doit-on aller pour rester authentique?
La manifestation artistique et culturelle dans nos communautés évoque parfois le bon vieux poêle à bois. On se rassemble tout autour pour y trouver chaleur et réconfort à l’abri des rigueurs de l’hiver. On s’y sent parfois si bien que l’on ne voudrait plus bouger.
On fait appel aux talents locaux pour produire un spectacle, chant ou théâtre, avec personnages, sons et symboles familiers. Le public est à la fois acquis et conquis. Bref, on veut rassembler, pas déranger. Quant on est minoritaire, on a souvent besoin de cela. On le fait pour le plaisir de se retrouver entre nous pour rire et échanger en français.
Bien sûr, on préserve notre langue et notre culture. Oui, mais en contre partie, on se replie sur soi, on s’isole, on se referme. On ne s’épanouit pas beaucoup. Notre voix ne porte pas. Les autres ne nous entendent pas. L’ombre et le silence sont les murs et le toit de notre abri.
Pour grandir, il faut aussi s’ouvrir au monde en s’exposant à son influence. Personne ne sort tout à fait intact de cet exercice. On change, on fait des emprunts, on évolue.
Élargir son public
En clair, cela signifie qu’il faut élargir son public. Bref, il faut sortir du centre communautaire ou bien y inviter les autres. Il faut inventer des œuvres qui sortent de son patelin pour parler à la fois de l’univers et à l’univers.
Là encore, il y a un « Oui mais… ». La communauté ne se rassemblera pas si l’œuvre ne lui ressemble pas. Finis les soirées réconfortantes autour du poêle à bois. Toujours le même problème… Au lieu de faire grandir, cette ouverture aggraverait le repli.
L’expression artistique vise aussi à nous faire connaître. Elle nous sort du ghetto. Une culture qui a des ailes survole le monde pour partager ses valeurs, ses coutumes, pour l’enrichir, en fait. C’est là que se pose la question du public.
En écoutant les conférenciers à ce colloque, il m’a semblé facile de dire « Oui, le public francophone existe bel et bien. » Mais est-il assez nombreux partout pour soutenir la création francophone? Pas certain…D’où le besoin de l’élargir en conviant les autres.
Le public anglophone était invité récemment à une pièce du Franco-Ontarien Jean- Marc Dalpé au Centre national des arts à Ottawa. Le spectateur pouvait y lire la traduction alors qu’elle défilait sur un écran au dessus de la scène.
Pour un puriste de la langue et de la culture, cela peut sembler excessif. Mais si l’on veut que le message sorte du cercle, il faut bien le porter au dehors, dans la langue que les autres comprennent. Un vent se lève qui éparpille (c’est le titre de l’œuvre, à l’avenant dans les circonstances) est sorti du Nord francophone de l’Ontario pour toucher le Canada anglais.
Un jour, un autrichien m’a fait lecture des films à voir. « Der Untergang des amerikanischen Imperiums ». Ça vous dit quelque chose? Le déclin de l’empire américain de Denys Arcand était l’affiche à Vienne en 1987. Son message est devenu universel, mais l’œuvre est pourtant restée résolument québécoise. Elle n’a pas souffert.
De la même façon, le texte de Dalpé a grandi.
Le choix est le suivant : on reste entre nous, ou bien on s’ouvre aux autres en levant ses défenses. Nous résistons comme une huitre, fermée sur elle-même, ou bien on fait comme le papillon aux ailes fragiles qui quitte son cocon pour prendre son envol.
Cela me fait penser au Saint-Laurent où tout a commencé avec Jacques Cartier. La mer s’y enfonce avec les marées. Petit à petit, elle perd de son sel. Elle se dilue. À l’autre bout, les grands lacs l’alimentent. L’eau douce y laisse sa limpidité mais l’univers s’ouvre à elle. Ainsi, l’océan apprivoise la terre, et les eaux intérieures découvrent un espace insoupçonné.
Qui a perdu quelque chose? Qui n’a rien gagné?
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