« Répondez au recensement – c’est la loi ». Tous les Canadiens ont pu lire cette courte consigne en recevant l’avis du Recensement 2016. Le style est plutôt lapidaire, c’est le moins que l’on puisse dire. La loi, c’est la loi. Ceci étant, je préfère regarder le grand décompte national par l’autre bout de la lorgnette, celui du droit de dire qui on est à l’État, et d’en attendre quelque chose en retour.
Dans toutes démocraties, le citoyen peut se manifester le jour des élections et s’exprimer librement dans les médias. Il est ainsi capable de solliciter ou d’influencer les pouvoirs publics dans l’espoir qu’ils répondent à ses besoins. Un recensement mené avec rigueur et judicieusement utilisé peut aussi servir à cette fin.
Le dernier, celui de 2011, ne révélait pas grand-chose de la situation du français au pays. En gros, ça se résumait à ceci : le Canada comptait alors un petit peu plus de sept millions de personnes d’expression française, réparties en un certain nombre de tranches d’âge, qui vivaient seules, en groupe ou en famille, avec les nombres et proportions par province, sans plus de détails.
Le fruit était plutôt sec, résultat de la suppression du questionnaire long par le gouvernement précédent. Le francophone minoritaire, comme les autres citoyens, devenait une statistique sans âme. Or, le citoyen n’est pas qu’une donnée comptable. Il est une personne en chair et en os qui essaie tant bien que mal de se bâtir un quotidien avec les ressources de son milieu, qui vit de rêves et d’espoir. L’État se doit de le connaitre.
Sans information sur le niveau socioéconomique, les diplômes, le travail, l’origine, le temps passé à s’occuper des enfants ou d’un proche malade, il n’est guère possible de tisser un filet social adéquat. Ne pas savoir s’il y a du chômage ou de l’emploi, de la richesse ou de la pauvreté empêche d’intervenir efficacement. Quant à la dimension linguistique, elle est incontournable.
Le grand sondage de cette année en dira davantage. Un Canadien sur quatre a reçu le long questionnaire, avec l’obligation d’y répondre. Les pouvoirs publics devaient donc disposer d’une véritable mise à jour de la situation démographique du pays. Pour les francophones minoritaires, cela signifie la connaissance des contextes socioéconomiques et socioculturels dans lesquels ils vivent.
Une image floue conduirait à la confusion. Tous les minoritaires se ressembleraient. Or, on sait que ce n’est pas le cas. La communauté francophone de Toronto, qui comprend beaucoup de néo-canadiens, est moins homogène que celle du Nord de l’Ontario. Obtenir des soins de santé en français est plus facile à Moncton ou Caraquet qu’à Regina ou Edmonton. On peut dire la même chose au sujet des écoles.
Ce qui compte au fond, ce n’est pas l’existence du questionnaire, mais ce que l’on fera des résultats.
En rétablissant le long questionnaire, les Libéraux n’ont fait que réaliser la première étape d’une promesse. Cette promesse comprend non seulement un geste, mais aussi et surtout un esprit, celui d’un cadrage qui donnera un portrait fidèle de la population canadienne avec, bien sûr, un résultat tangible.
La prochaine révision des programmes destinés aux francophones aura lieu dans cinq ans. Le recensement de cette année devrait servir de guide dans leur élaboration.
Statistique Canada a affiné la mise à point de son objectif pour prendre une photo aussi détaillée que possible de la société. Il faudra faire davantage que suspendre un tableau décoratif. C’est maintenant au gouvernement d’en prendre acte pour dessiner ses prochains programmes.
La Loi sur les langues officielles est claire. L’État doit contribuer à l’épanouissement et au développement des communautés minoritaires.
On pourra créditer au gouvernement Trudeau d’avoir pleinement tenu sa promesse quand ce sera fait, pas avant.
Chronique de la francophonie Répondez au nom de la loi
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