Le cas pourrait faire jurisprudence, estime l’avocat Francis Poulin.
La ministre de l’Éducation, de la Culture et de la Formation (MECF) Caroline Cochrane a-t-elle eu tort de refuser deux fois l’admission d’un élève non-ayant droit à l’école Allain St-Cyr ?
C’est ce dont ont débattu le 16 mai dernier les avocats Guy Régimbald et Francis Poulin, le premier pour le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest (GTNO), le second, pour la Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest (CSFTNO).
La CSFTNO ne demande pas à ce que l’enfant soit réadmis, mais que la ministre réétudie sa décision en analysant divers éléments.
Le juge de la Cour supérieure Paul Rouleau a pris la question en délibéré. Il souhaite rendre un jugement avant le début de l’année scolaire, mais ne garantit rien. « C’est une question assez complexe, a-t-il dit, moins simple que ce que disent les avocats. »
Un cas particulier
L’identité de l’enfant, W, est frappée d’une ordonnance de non-publication.
Il est né au Canada de parents immigrants dont la langue première n’est ni le français ni l’anglais. Sa langue première est le néerlandais, mais il s’exprimerait aussi en anglais et en français.
Il a fréquenté une garderie francophone puis, devant le refus du MECF de l’admettre à Allain St-Cyr, s’est inscrit dans une école anglophone.
W correspond à la troisième catégorie des non-ayants droit admissibles. Selon la Directive ministérielle sur l’inscription des élèves au programme d’enseignement du français langue première, datant de 2016, à la différence qu’il est né au Canada et non à l’étranger.
Trois autres cas similaires ont vu leur admission refusée à la CSFTNO dans la dernière année.
Pour l’avocat Francis Poulin, la Directive peut être interprétée de manière « souple et généreuse » et permettre l’admission de l’enfant.
De surcroit, Me Poulin fait valoir que la ministre aurait pu autoriser l’admission de l’élève en utilisant son pouvoir discrétionnaire, spécifié dans la Directive.
Exception
Un autre enfant a été accepté à Allain St-Cyr dans les dernières années, qui ne correspondait à aucune des catégories de non-ayants droit admissibles.
La langue première de cet élève et des parents n’était ni l’anglais ni le français, mais il été scolarisé en français dans un autre pays avant d’immigrer au Canada. Le ministère de l’Éducation a accepté son admission à la CSFTNO.
Un cas hautement unique, a dit l’avocat Guy Régimbald en cour.
Me Régimbald ne s’est pas adressé aux médias, argüant une demande de son client.
« Pourquoi faire la distinction entre un parlant français qui est né au Canada et un parlant français qui arrive de l’étranger ? demande Me Poulin. S’il y a une préférence, on devrait favoriser les gens de la place, qui veulent vraiment s’engager. »
L’avocat fait valoir que la famille de W a démontré un engagement soutenu auprès de la communauté francophone et a fait « des efforts véritables, légitimes, pour se franciser ».
« Il avait tous les critères linguistiques, a renchéri Francis Poulin. S’il n’est pas admis, personne ne le sera. » Cependant, Me Régimbald a fait valoir que les parents de l’enfant ont déclaré qu’ils parlaient anglais sur le formulaire du ministère. « Il ne se qualifie pas comme nouvel arrivant », a-t-il ajouté.
50 %
« Si on admet tous les non-ayants droit, ça nous ramènerait en 2002 [alors que la CSFTNO avait le contrôle des admissions] et ça aurait un impact sur le budget, a affirmé Me Régimbald. Les admissions, c’était 10 sur 10 avant ce cas.
Il ne faudrait pas qu’on ait à se présenter devant [la cour] chaque fois qu’il y a un refus. »
Pour Me Régimbald, l’admission de W sur la base du pouvoir discrétionnaire de la ministre ouvrirait la porte aux anglophones, qui « veulent tous faire admettre leurs enfants à l’école francophone ».
Son collègue a fait valoir le fait que la Directive existait pour permettre l’admission d’un nombre restreint de non-ayants droit. « Mais c’est restreint par nature, a prétendu M Poulin. Déjà, il n’y a que 50 % des ayants droit qui vont dans une école francophone. »
Article 23 et pouvoir discrétionnaire
L’article 23 de la Charte canadienne et des droits et libertés et le pouvoir discrétionnaire de la ministre sont au cœur du litige.
Les requérants estiment que le GTNO a regardé le libellé de l’article 23, mais a fait fi de ses valeurs, soit de protéger et de promouvoir les communautés minoritaires par l’entremise de l’éducation.
Pour le GTNO, au contraire, l’article 23 n’a rien à voir avec le cas puisque le W n’est pas un ayant droit.
« C’est incongru d’invoquer l’article 23 quand la ministre fait déjà quelque chose qu’elle n’est pas obligée de faire », a déploré Guy Régimbald.
En cour, Francis Poulin a allégué que la ministre avait toute la latitude requise pour admettre l’enfant à l’éducation en français s’il n’entrait pas dans une des catégories de non-ayants droit et qu’elle avait de bonnes raisons pour le faire.
Or, prétend-il, elle a négligé d’utiliser sa discrétion et beaucoup de faits n’ont pas été considérés dans le processus décisionnel.
Le juge Rouleau a dit qu’il évaluerait la nature des critères de la discrétion.
Un cas de jurisprudence ?
Me Poulin voit dans l’interdiction de l’admission de l’enfant une décision de principe, le gouvernement visant à valider la légitimité de sa Directive.
Questionné à savoir si le cas pourrait faire jurisprudence, Me Poulin a répondu par l’affirmative, spécifiant toutefois que ce ne serait alors que sur des « points relativement limités ».
La Cour suprême, a-t-il expliqué, a ouvert la porte à la contestation du refus d’admission des non-ayants droit.
« À Ottawa par exemple, illustre Me Poulin, où il y a beaucoup d’enfants et où l’assimilation est moins élevée, c’est permis que le gouvernement de l’Ontario soit moins généreux, alors qu’ici, où le taux d’assimilation est élevé, où il n’y a pas eu d’école francophone pendant cent ans, le gouvernement doit être un peu plus généreux dans ses catégories. »
Si la ministre réexamine favorablement le cas de W, la directrice générale de la CSFTNO, Yvonne Careen, pourrait demander qu’elle fasse de même pour les trois autres cas de refus.
« Ce sera au cas par cas, précise-t-elle, parce qu’ils ne sont pas identiques. »