Lors d’une assemblée générale extraordinaire qui avait lieu le 18 septembre à Yellowknife, les membres de la Fédération Franco-TéNOise (FFT) ont adopté une résolution visant à engager un recours judiciaire à l’encontre du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest et du gouvernement du Canada aux fins de respect et d’actualisation des droits linguistiques des Franco-ténois et des Franco-ténoises . De plus, les membres de la FFT ont mandaté leur conseil d’administration de mener à bien cette démarche.
Deux aspects majeurs seront visés par cette éventuelle poursuite : le non-respect des droits linguistiques des francophones dans l’application de la Loi; et la responsabilité ultime du gouvernement fédéral en matière de droits linguistiques aux Territoires.
La question délicate au cœur de cette poursuite concerne la responsabilité du gouvernement fédéral par rapport à l’application de la loi territoriale sur les langues officielles. Lors du Forum sur le français aux Territoires du Nord-Ouest qui a eu lieu en mars dernier, Me Michel Francoeur, directeur des services juridiques du ministère du Patrimoine canadien, avait clairement indiqué que le gouvernement fédéral n’avait aucune responsabilité légale quant au respect de la loi territoriale en matière de langues officielles.
Par contre, le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest est une institution du gouvernement fédéral, a expliqué pour sa part Me Roger Lepage, conseiller juridique retenu par la FFT. Les trois territoires existent en vertu d’une loi fédérale et non pas en raison de la Constitution comme les provinces.
Ce recours judiciaire vise donc à éclaircir cette question du statut constitutionnel des territoires canadiens quant aux droits linguistiques des francophones.
L’ argumentation retenue par la Fédération risque de soulever bien des débats. En effet, le gouvernement territorial agit comme s’il jouissait des mêmes droits constitutionnels qu’une province.
On peut s’attendre à des retombées politiques négatives à court terme, a indiqué un ancien président de la FFT, Fernand Denault, qui participait à cette assemblée à titre d’observateur.
En effet, la FFT risque de se retrouver seule face au gouvernement territorial, au gouvernement fédéral et, possiblement, aux gouvernements territoriaux du Yukon et du Nunavut.
Une bonne loi Selon Me Lepage, établir la faute du gouvernement territorial dans son application de la Loi sur les langues officielles des T.N.-O ne devrait pas causer de problème. En fait, vous avez une bonne loi. La loi des T.N.-O. va même plus loin que la loi qu’ils ont au Nouveau-Brunswick, a souligné Me Lepage.
Le problème, c’est que cela ne se traduit pas dans les faits, ont constaté plus tôt cette année plusieurs participants au Forum sur le français aux T.N.-O. Ainsi, la politique et les lignes directrices adoptées par le GTNO seraient réductrices des droits prévus par la Loi.
Cette politique et ces lignes directrices servent de base lorsque le gouvernement établit ses plans d’action annuels pour la prestation de services en français. Les plans d’action sont ensuite soumis au gouvernement fédéral qui conclut une entente finançant ces services.
Pour l’instant, le gouvernement fédéral ne remet pas en cause la légitimité des plans d’action proposés par le gouvernement territorial. Il considère que sa seule obligation consiste à défrayer la note.
Cette situation pourrait changer si un jugement favorable à la FFT venait confirmer que le gouvernement territorial n’est pas plus qu’une institution relevant du gouvernement fédéral. En vertu des articles 16 et 20 de la Constitution canadienne, qui vont plus loin en matière de droits linguistiques, le gouvernement fédéral serait alors dans l’obligation de faire respecter la loi territoriale sur les langues officielles. À long terme, cela signifierait aussi que le fédéral et le territorial ne pourraient pas modifier la Loi en réduisant les droits linguistiques des francophones.
Un long processus
On ne produit pas une poursuite judiciaire du jour au lendemain. Le processus nécessite une préparation méticuleuse. De plus, Me Lepage entrevoit que la question devra se rendre jusqu’à la Cour suprême du Canada, un processus qui pourrait prendre jusqu’à cinq ans. En outre, Me Lepage s’attend à ce que les cours de première instance rejettent la cause de la FFT.
En lisant les arrêts des tribunaux des Territoires, il n’y a qu’un seul jugement où il semble y avoir une ouverture par rapport à notre argumentation, a souligné Me Lepage. Dans les autres jugements, les territoires sont considérés comme une province.
Cette phase préparatoire sera aussi importante puisqu’elle devrait permettre d’aller chercher des appuis. La FFT se retrouve actuellement seule à faire face à la musique, mais on estime possible que d’autres parties se joignent à elle d’ici peu.
Il faut mentionner que le 15 juillet dernier, Claudette Toupin, directrice générale du Programme de contestation judiciaire du Canada, a informé la FFT que ce programme allait soutenir cette cause en lui accordant la somme de 50 000 $. Dans la lettre de Mme Toupin, elle indique que leur comité des droits linguistiques estimait que la contestation soulève des questions très importantes concernant les droits linguistiques.
Parmi les conditions rattachées à cette aide financière, le comité demande que soient consultées les associations francophones du Yukon et du Nunavut, ainsi que le Commissariat aux langues officielles du Canada. Ces trois organismes constituent donc des alliés potentiels de la FFT.
D’ailleurs, des observateurs des deux territoires voisins étaient présents aux délibérations du 18 septembre.
Le président de l’Association franco-yukonnaise, Yann Herry, et la directrice générale de l’organisme, Jeanne Beaudoin, assistaient à cette réunion afin de prendre connaissance du dossier. M. Herry se dit conscient que cette démarche aura des impacts sur le Yukon par rapport aux obligations des deux ordres de gouvernement. Les francophones des T.N.-O. initient le processus, mais les résultats auront un impact sur le Yukon et le Nunavut car on est aussi des territoires comme les T.N.-O.
La FFT est en contact régulier avec le fédéral et le territorial dans plusieurs dossiers. On espère cependant, à la FFT, que les relations resteront cordiales avec les principales parties intéressées. On a beaucoup de liens établis avec ces gouvernements mais à d’autres niveaux et dans d’autres dossiers, a expliqué le directeur général de la FFT, Daniel Lamoureux.
Il serait d’ailleurs douteux que l’un ou l’autre de ces gouvernements usent de représailles qui auraient surtout pour effet d’alimenter la cause des francophones devant les tribunaux.
Je crois que le GTNO va être plus réceptif par rapport à nous et qu’il va nous prendre plus au sérieux, a mentionné Daniel Auger.