le Mercredi 23 avril 2025
le Vendredi 19 novembre 2004 0:00 | mis à jour le 20 mars 2025 10:36 Politique

Entrevue La mondialisation est-elle pire dans le Nord?

Entrevue La mondialisation est-elle pire dans le Nord?
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Aquilon : Pouvez-vous d’abord expliquer en quoi consistent les accords commerciaux et quel est leur impact sur notre vie de tous les jours?

Noel Schacter : Il y a deux accords commerciaux importants au Canada. Il y a d’abord l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui est l’obligation commerciale la plus importante à laquelle nous adhérons. […] C’est un ensemble de traités qui comprend des règles sur les investissements au niveau des biens et services. Le second est, bien entendu, l’Accord de libre échange nord américain (ALENA) avec les États-Unis et le Mexique. En général, les gens considèrent que ces accords portent surtout sur le commerce. Mais ce que les gens ignorent c’est qu’ils portent en grande partie sur la gouvernance. Ils restreignent la capacité des gouvernements d’agir selon la volonté de la majorité des citoyens qu’ils représentent – ou, à tout le moins, cela peut arriver. Alors c’est surtout sur cet aspect des accords commerciaux que nous avons concentré nos recherches.

Pensez-vous qu’un marché plus libre signifie que les gouvernements le sont moins?

Oui. Car ce qu’il faut comprendre c’est que ce n’est pas une question de mouvements des biens et services de part et d’autre des frontières – dans tous les cas pas à la base. […] Ces traités restreignent les gouvernements dans leurs actions, par exemple, quant à l’offre des services. Va-t-on faire appel au secteur public ou privé? Dans le cas de l’assurance maladie, nous avons choisi d’avoir un système public. Si nous souscrivions à toutes les règles sur les services de l’OMC, alors il ne nous serait plus possible d’avoir notre système d’assurance maladie. Nous devrions permettre la privatisation des soins de santé.

Dans le livre que vous venez de publier, vous dites que les territoires sont plus vulnérables aux accord de commerce internationaux que les provinces. Pourquoi?

Le problème c’est qu’il n’y a pas autant de protection, et plus particulièrement pour le Nunavut, et de même dans tous les pouvoirs qui ont été acquis par les territoires après la signature de ces deux traités en 1994 et 1996. N’importe quel palier gouvernemental mis en place après la signature de ces traités n’a pas le même niveau de protection les provinces.

D’autre part, les territoires du Nord ont de grands besoins en terme de développement économique. Ils doivent s’assurer que leurs ressources naturelles sont développées de telle sorte qu’ils obtiennent plus d’emplois et plus d’opportunités d’affaires. Mais avec nos engagements de l’OMC et de l’ALENA, c’est beaucoup difficile de le faire.

Enfin, au niveau des programmes sociaux, le territoire est si vaste et la population si petite que l’on ne peut pas y offrir de services selon les barèmes d’un système de libre marché. Si on privatisait la poste par exemple, l’impact serait très négatif parce que les gens du Nord obtiennent leur nourriture et plusieurs biens de consommation par l’entremise de Poste Canada. Et c’est le reste du pays qui le subventionne.

Mais pourtant, le Nord est l’endroit au Canada où la croissance économique est la plus importante. Est-ce que ce ne serait pas en partie à cause du libre-échange?

Industrie Canada a réalisé une étude sur l’impact de l’ALENA sur la croissance des échanges commerciaux. Ils ont découvert que plus de 90 % de la croissance des échanges commerciaux au Canada était provoquée par la valeur de la devise canadienne et par d’autres facteurs qui ne sont pas liés avec l’Accord en tant que tel. […] Tout juste 9 % de la croissance était liée à l’ALENA. Et quand on regarde plus spécifiquement ces 9 %, l’étude démontre qu’il s’agissait surtout de secteurs couverts par un seul chapitre de l’ALENA, sur 21. Alors, ce n’est qu’une partie négligeable de la croissance économique qui est liée aux accords commerciaux.

L’économie du Nord dépend presque exclusivement des ressources naturelles. Est-ce que c’est une faiblesse dans une économie mondialisée?

Ce n’est pas nécessairement une faiblesse dans la mesure où l’on tente d’en tirer le maximum de bénéfices. Le problème c’est que les accords commerciaux donnent aux corporations le pouvoir de négociations qui devrait être dévolu aux gouvernements. En d’autres mots, auparavant les corporations qui souhaitaient exploiter nos ressources devaient négocier des accords sur les bénéfices avec les communautés locales. Désormais, elles ne sont plus tenues de le faire […] parce que les règles définies dans les accord commerciaux empêchent les gouvernements d’utiliser leur levier. […]

Nous avons des ressources naturelles et c’est, selon toutes vraisemblances, un bon moment pour les exploiter. Mais nous devons aussi pouvoir les contrôler. Prenons l’eau par exemple. Il se pourrait qu’on ne veuille pas que l’eau du Nord quitte les territoires pour être acheminée aux Etats-Unis parce que cela pourrait avoir un impact négatif sur l’environnement. Eh bien, les accords commerciaux, nous empêcheraient de mettre en place les systèmes de contrôle suffisants pour empêcher que cela se produise.

Un autre point important de votre livre est que, selon vous, les gouvernements autonomes autochtones sont les moins bien préparés pour le libre-échange. Pouvez-vous nous en parler?

À nouveau, le problème c’est que ces gouvernements n’étaient pas en place au moment où ces accords commerciaux ont été conclus. Alors ils ne sont pas en mesure de protéger leurs secteurs de gouvernance comme ils le veulent. Plus spécifiquement, il y a un grand besoin de services publics dans les communautés autochtones, mais pas nécessairement pour des services à tendance commerciale. Alors si on privatise les services publics, cela affectera particulièrement les communautés autochtones. Parce que l’idée d’un service public c’est que tout le monde y a accès, mais cela n’est pas le cas dans le secteur privé. Dans un système privé, les Autochtones n’auraient plus un accès égal aux services parce qu’ils ne représentent pas un marché assez important.

Au moment où l’on se parle, l’autonomie gouvernementale de certaines communautés autochtones fait toujours l’objet de négociations. Devrait-on tenir compte de la mondialisation des marchés dans ces accords?

Je pense que les gouvernements autochtones doivent s’assurer que le gouvernement fédéral les protège dans les négociations entourant ces accords commerciaux et les traite différemment, voire les exclut de ces règles. […] S’ils étaient exclus de ces accords, cela leur permettrait de bénéficier davantage du développement économique. S’il y a un projet majeur de développement dans une communauté autochtone, une mine de diamant par exemple, la communauté doit s’assurer d’en tirer le maximum de bénéfices, même s’ils ne peuvent le réaliser eux-mêmes et qu’ils ont besoin d’une corporation internationale pour y arriver.