Point Barrow, en Alaska, est la municipalité la plus septentrionale des États-Unis. Comme bien des hameaux situés sur les rives de l’océan Arctique on y recense des tempêtes destructrices. C’est pourquoi l’État de l’Alaska veut utiliser le gravier d’une île située au large de Point Barrow, l’île Cooper, pour construire une grande barrière protectrice. Le hic : cette île appartient au Canada.
L’île Cooper n’est pas la plus célèbre de nos îles arctiques. Inhabitée, de taille lilliputienne et située plus près de la Russie que du Yukon, il y a longtemps qu’ony a vu flotter l’Unifolié. Mais elle semble bel et bien canadienne. Comme les quatre autres îles qui composent l’archipel des Plover, la Grande-Bretagne nous l’a cédée en 1880. Un porte-parole des affaires étrangères n’a toutefois pas pu confirmer que l’île était canadienne. Au moment de mettre sous presse, a-t-il laissé entendre, le consulat canadien d’Anchorage en était encore à éplucher les documents historiques pour prendre une position éclairée.
Mais voilà, ce détail ne gêne pas l’Alaska qui envisage sérieusement de creuser l’île pour ériger sa barrière de sécurité. Une entente entre le comté de North Slope, en Alaska, et le département américain de l’Armée a été signée, le 13 février 2003, pour lancer ce qu’on appelle le « Barrow Coastal Storm Damage Reduction Project ». Depuis, des études de faisabilité sur le terrain ont été enclenchées. Elles en sont même à la phase trois.
Dans un document d’information sur l’état de ces travaux produit au début de novembre, on peut lire que « un programme de forage a été entrepris dans les sources de gravier proposées, sur l’île Cooper. […] Les résultats démontrent que l’île Cooper [et un autre site] présentent assez de matériel pour le renforcement de la berge. »
Le directeur du projet, Curt Thomas, et la directrice des projets du Corps d’ingénieurs du département de l’Armée en Alaska, Andréa O’Connin, ont confirmé que des activités de forage ont eu lieu sur l’île Cooper en avril 2004. Tous deux ont également assuré qu’au moment des opérations, ils détenaient tous les permis nécessaires pour entreprendre ces travaux.
C’est le Bureau of Land Management (BLM), une agence gouvernementale américaine, qui a émis les autorisations. « Nous considérons que cette île fait partie du territoire américain et le BLM est l’agence qui gère ces terres », assure le spécialiste en immobilisation des bureaux du BLM de Fairbanks en Alaska, Mike Woarley. « Tant que nous n’aurons pas de directives contraires, notre agence continuera d’émettre les permis d’exploration pour l’île Cooper », insiste-t-il.
Précédent
Ce n’est pas la première fois que le BLM octroie des permis américains pour explorer la petite île canadienne. Le biologiste George Divoky en a déjà obtenu au moins un.
Le professeur Divoky est directeur de l’organisme scientifique sans but lucratif Friends of Cooper Island. Il a passé pas moins de trente étés sur l’île Cooper où il continue d’étudier le comportement des guillemots noirs. Ses travaux ont largement servi à documenter l’impact des changements climatiques sur l’Arctique et demeurent une référence en matière de recherche ornithologique extensive.
« Jusqu’à récemment, je n’avais pas besoin de permis, mais maintenant je me suis construit un campement et j’ai besoin d’un permis du BLM et aussi de la corporation autochtone de Barrow pour pouvoir occuper le territoire, car c’est également un territoire autochtone. », raconte le chercheur dont les bureaux sont situés dans l’état de Washington.
« C’est nous qui avons émis ce permis au professeur Divoky, confirme Mike Woarley. En fait je travaille présentement sur le renouvellement de son permis. »
Frontières
Le problème que pose l’île Cooper n’est pas exceptionnel. Dans la région de la mer de Beaufort, quelque sept possessions canadiennes partagent des frontières maritimes non établies avec les États-Unis. « C’est le territoire contesté », explique Reynald Doiron, un porte-parole du ministère canadien des Affaires étrangères. « Si vous consultiez des cartes internationales, poursuit-il, vous verriez qu’il y a une zone lisérée dans la mer de Beaufort, qui constitue cette zone contestée entre le Canada et les États-Unis. »
Cette fameuse zone contestée l’est d’autant plus qu’on y retrouve d’importants gisements pétroliers et gaziers. « Depuis 1985, explique M. Doiron, à chaque année, sauf cette année, le ministère de l’Intérieur américain fait des enchères pour inviter des compagnies pétrolières à envoyer des soumissions pour des explorations de nature pétrolière et gazière off shore [dans la mer de Beaufort]. Mais, en 18 ans, il n’y a aucune compagnie qui a envoyé quelque soumission que ce soit, parce qu’ielle savent fort bien que la chose se rendrait devant les tribunaux rapidement. » De part et d’autres des douanes, aucune négociation n’a été entreprise pour fixer ces frontières maritimes.
Une île
Pour le professeur George Divoky, que l’île soit canadienne ou américaine lui importe peu. Ce qu’il souhaite c’est d’abord de pouvoir y poursuivre ses recherches. Et pour cela, il vaudrait mieux qu’elle demeure entière.
« Je comprends que l’érosion est un problème important à Barrow, dit le directeur de Friends of Cooper Island. Mais je pense qu’il y a d’autres sources de gravier que l’île Cooper et je ne suis pas sûr, non plus, que ce soit la meilleure façon de répondre à ce problème. »
L’été prochain il y retournera pour retrouver sa colonie de guillemots. « Quand les glaces, se détachent, raconte-t-il, et qu’elles flottent au large de la berge on ressent un effet stellaire. »