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le Vendredi 30 juin 2006 0:00 | mis à jour le 20 mars 2025 10:36 Politique

Trois questions pour Jean-Daniel Lafond

Trois questions pour Jean-Daniel Lafond
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L’Aquilon : Vous vous occupez, à Rideau Hall, du dossier de la francophonie. Or, nous avons souvent l’impression que Rideau Hall est d’abord une institution d’apparat. Quel rôle, quels pouvoirs, a cette institution? Et qu’est-ce que Rideau Hall peut faire pour les francophones?

Jean-Daniel Lafond : Rideau Hall, d’abord, c’est le lieu de la gouverneure générale, alors en l’occurrence c’est le poste qu’occupe mon épouse – je ne suis pas le gouverneur général. C’est toute une équipe, c’est au total plus de 200 personnes qui travaillent là. Et c’est aussi des dossiers, des dossiers qui permettent à la gouverneure générale d’exercer son rôle.

Son rôle n’est pas seulement un rôle d’apparat. C’est un rôle de représentation, bien sûr, mais ce rôle de représentation [signifie notamment] qu’elle est une courroie de transmission entre la population et le pouvoir exécutif. Par ses rencontres avec le premier ministre ou les autres ministre elle transmet des points de vue, informés de préférence. En ce sens là, elle informe, sans diriger l’exécutif, de choses qu’elle et moi pouvons approcher et que le politicien n’approcherait pas de la même façon. […]

La francophonie est d’abord et avant tout une des grandes valeurs culturelle du Canada. Il est normal qu’à Rideau Hall on s’intéresse doublement à la francophonie. D’abord parce qu’elle fait partie de la dynamique historique et contemporaine du Canada et, aussi, parce que nous sommes deux francophones. […] Alors, oui, le français fait partie de nos soucis. Mais c’est aussi un souci du Canada : c’est de savoir préserver ses richesses et ses valeurs.

Alors quand vous dites « un rôle d’apparat », alors non, pas du tout.

Votre filmographie explore beaucoup le thème de la révolte et du désir de renverser le pouvoir. Comment est-ce que votre perspective a évolu, maintenant que vous résidez dans la demeure du chef d’État?

Il faudrait d’abord qu’on puisse classer mes films comme étant des films sur des révoltés. Non, ce n’est pas du tout cela.

Ce sont des films qui, évidemment, abordent à chaque fois des moments cruciaux de l’histoire de la vie des gens et des sociétés. Ça c’est clair et net. Pas simplement au Québec, pas simplement au Canada, mais en Iran, en Haïti et à Cuba. Oui, j’ai abordé des questions comme ça : des tournants du siècle, des révolutions, entre autres. La Révolution cubaine plus de 40 ans plus tard (L’Heure de cuba, 1999), la Révolution iranienne 25 ans plus tard (Salam Iran, une lettre persane, 2002) […] Donc ça, je les interroge comme ça : voir ce qu’elles étaient devenues. Dans L’Heure de Cuba, je constate surtout que la Révolution a trahi la Révolution, et qu’en Iran aussi. […]

J’ai aussi exploré les révolutions ratées dans l’ensemble, donc l’usage de la violence et ses conséquences. Dans la Liberté en colère (un film sur le Front de Libération du Québec, 1994) où je pose la question comme un observateur parce que je n’étais pas là [lors des événement d’Octobre 1970]. Je pose la question : pourquoi le FLQ ? Pourquoi la mort d’un homme ? Pourquoi la mort de Pierre Laporte, de mon semblable ? Comment ce fait-il que de jeunes terroristes québécois tuent leur semblable? Sur le plan symbolique ça n’a pas de sens. […] Moi je fais des films pour comprendre, alors je m’approche toujours de l’insoutenable.

[…] On fait des films parce qu’on ne sait pas, pas parce qu’on sait, et parce qu’on espère poser le problème un peu mieux à la fin. Et j’ai toujours fais cela.

Alors vous dites « aujourd’hui, où je suis », eh bien, aujourd’hui je ne fais pas de film de toute façon. […] Je ne sais pas quel est l’impact de ce que je vis en ce moment, je suis en train de le vivre. Tout ce que je sais, c’est que ce je suis fait en sorte que je ne peux pas être indifférent à ça. Mais, pour le moment, je serais incapable de vous décrire où je suis. Ça me prendra plus de temps. Ça me prendra au moins les cinq ans minimum dans lesquelles on va s’y trouver. Parce que, moi, je suis dans une action. Je me suis engagé là-dedans comme je m’engage dans la production d’un film : à fond.

Et votre impression à chaud de ce voyage?

Un voyage pour moi ça a trois aspects : un voyage dans la géographie, un voyage dans la société et le voyage chez les personnes que l’on rencontre. Je trouve que ces trois voyages-là s’harmonisent bien, à Yellowknife.

La géographie m’étonne et me surprend, même si je connais des paysages un peu équivalent, la basse Côte Nord, entre autres et même dans les approches du Nunavut, un peu. C’est quelque chose d’autre, c’est une lumière différente.

Le voyage dans la société, maintenant. On est toujours au Canada, je le crois, mais c’est aussi un ailleurs. Un ailleurs par la composition même de la population, par l’histoire courte, d’une certaine façon, de l’occupation du territoire. C’est la rencontre avec différents représentants des peuples autochtones, donc avec une histoire qui va beaucoup plus loin encore, qui remonte beaucoup plus haut.

Enfin, c’est la rencontre avec des gens qui sont très riches, humainement parlant. Parfois, comme tous les gens pleins d’espoirs, comme le pays.

Alors c’est un voyage intéressant, puisqu’il m’apprend quelque chose. Tous les voyages qui m’apprennent quelque chose, et avec lesquels je me sens nourri, ça me permet d’être moins sous-informé quand l’on parle du lieu d’où l’on vient et quand l’on parle, surtout, au nom des gens que nous avons rencontré.

Le plus récent film de Jean-Daniel Lafond, Le fugitif ou les vérités d’Hassan (InformAction, 2006), raconte l’histoire d’un jeune Noir américain traqué par le FBI depuis qu’il a assassiné le représentant du Chah d’Iran aux États-Unis, en 1980.