« C’est le jugement le plus détaillé, le plus scrupuleux que j’ai jamais vu », s’enthousiasmais l’avocat de la Fédération franco-ténoise, Me Roger Lepage, le jour du verdict qui confirmait les violations systématiques à la Loi sur les langues officielles alléguées par ses clients.
La juge Marie Thérèse Moreau, en effet, n’y est pas allé de main morte. Le jugement de plus de 200 pages énumère une kyrielle d’ordonnances auxquels le gouvernement des TNO est intimé de se conformer dans un délais d’un an. Entre autres choses, le gouvernement devra rédiger « un plan global de mise en œuvre » de la Loi, créer des postes désignés bilingues à tous les points de service du gouvernement, faire une offre active des services en français auxdits points de services, publier tous les documents gouvernementaux destinés au public en français et embaucher des professionnels de la santé francophones. Une petite révolution quoi.
Plus encore, la juge affirme dans son pavé que les services d’interprétation ne sont pas des services proprement égaux et indique que le recours aux interprètes devrait être employé en « dernier ressort ».
Pris de court par ce jugement massue, le gouvernement est incapable de commenter, même trois mois après le verdict. L’argument invoqué pour justifier ce mutisme est révélateur : le jugement n’est pas encore traduit en anglais… Mais, en août, on le gouvernement décide, comme on s’y attendait, à interjeter appel. L’affaire est portée devant la Cour d’appel territoriale et, d’ici un an ou deux, elle se rendra sûrement en Cour suprême fédérale.
Des changements
Même si, pour l’instant, les conséquences du jugement Moreau ne sont pas si apparentes que ça, on note quand même des changements qui semblent indiquer une ouverture nouvelle aux droits linguistiques.
Le débat a notamment, quoi que timidement, fait son entrée dans l’enceinte de l’Assemblée législative. Le député de Yellowknife Centre, Robert Hawkins, et surtout le jeune député de Monfwi, Jackson Lafferty, sont montés au créneau pour réclamer de meilleurs services dans les onze langues officielles reconnues par la Loi. Au premier rang de leurs revendications : le rétablissement des cours d’interprétation et traduction offerts par le collège Aurora et la création d’une liste des traducteurs et interprètes du territoire. Les députés des comtés à majorité autochtone ont aussi été plus nombreux à employer leur langue en chambre et la mention « [translation not provided] » est venue ponctuer à quelques reprises le verbatim des débats.
Parlant du verbatim des débats, le jugement Moreau exigeait que l’Assemblée législative commence sa traduction en français six mois après le verdict. L’échéance arrivée, l’Assemblée n’était toujours pas en mesure de fournir ce service et a décidé de cesser carrément la publication du document dans quelque langue que ce soit. Tous les citoyens du territoire se voient ainsi privés d’un outil essentiel pour garder un œil sur les agissements de leurs élus. Mais cela va peut-être changer bientôt. L’Assemblée législative publie cette semaine un appel d’offres pour des services de traduction et d’interprétation en onze langues.
Au bureau de la commissaire aux langues officielles on voit également des changements. Le jugement Moreau a reconnu le commissariat coupable d’une violation à la Loi dont il est supposé être le défenseur. La faute déplorée était la publication en anglais seulement du rapport de 1998 de la commissaire aux langues. Le commissariat a admis la gaffe et n’a pas interjeté appel.
Le plus récent rapport de la commissaire, beaucoup plus volumineux que le précédent, démontre que l’ombudsman prend son rôle plus au sérieux. En 2007, le commissariat déposera des rapports d’enquête sur l’état des services linguistiques en matière de soin de santé et de communications publiques. Du jamais vu depuis L’époque de Betty Harnum. On a aussi noté l’assermentation d’une toute première juge francophone à la Cour suprême des TNO, en la personne de Louise Charbonneau. Avant cela il fallait repêcher les juges francophones – comme Marie Thérèse Moreau qui est Albertaine – à l’extérieur du territoire. Est-ce un hasard ou la reconnaissance d’un besoin identifié il y a deux décennies ?