Toujours en attente du verdict de la Cour d’appel des TNO dans sa cause l’opposant à la Fédération franco-ténoise (FFT) sur la question de la prestation de services en français, le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest (GTNO) a décidé d’amener le débat des droits linguistiques sur un autre terrain alors qu’il agira à titre d’intervenant dans une cause similaire en Ontario rendue devant la Cour suprême du Canada.
Le litige en question oppose le Centre d’avancement et de leadership en développement économique communautaire de la Huronie (CALDECH), un organisme du sud de l’Ontario qui a pour mission d’assurer la participation des francophones à l’économie locale, et Industrie Canada. Le CALDECH et son président Raymond Desrochers, appuyé par le Commissaire aux langues officielles du Canada, reprochent à la Société d’aide au développement des collectivités (SADC) de Simcoe Nord – qui répond d’Industrie Canada – de ne pas offrir des services égaux en français aux à la communauté francophone plutôt importante dans la région.
La requête du CALDECH a été rejetée par la Cour fédérale en 2005 car le jugement, bien que reconnaissant le principe d’égalité réelle, a établi que la situation des services en français avait été corrigée par la SADC lorsque les demandeurs ont présenté la cause en 2004. Desrochers et la CALDECH ont porté le dossier en appel, mais n’ont pas totalement obtenu gain de cause. « L’appel avait été accueilli, mais il n’y avait pas de redressement ordonné par la Cour. Donc, c’était en quelque sorte une victoire théorique », a expliqué Me Pascale Giguère, qui a plaidé dans cette cause pour le Commissaire aux langues.
Constatant l’absence d’ordonnance de la Cour d’appel, la CALDECH, joint par le Commissariat aux langues officielles, a décidé de porter la cause devant la Cour suprême du Canada. Les audiences commenceront le 20 mai 2008.
Les TNO s’en mêlent
Comme dans toute cause impliquant une question constitutionnelle, les demandeurs ont dû aviser les procureurs généraux de chaque province et territoire pour voir s’ils voulaient agir à titre d’intervenants dans cette cause qui implique l’article 20 de la Charte canadienne des droits et libertés sur la question des droits linguistiques. Au moment de l’avis, à l’automne dernier, seul le procureur général du Nouveau-Brunswick a répondu. Toutefois, en début février, le procureur général du Canada a lancé un autre appel aux procureurs généraux dans ce dossier, une mesure inhabituelle que ne parvient pas à expliquer Me Giguère, et c’est suite à cette deuxième demande que le procureur général des TNO a décidé de faire une intervention.
Me Maxime Faille, avocat représentant les intérêts du GTNO, explique que le procureur ne voyait pas initialement le besoin d’intervenir dans la cause ontarienne, car elle ne concernait pas vraiment les TNO. Cependant, après « une deuxième réflexion », selon ses dires, les TNO ont changé leur fusil d’épaule. « L’interprétation que peut donner la Cour suprême concernant l’article 20 pourrait avoir un effet indirect sur l’interprétation qu’on devra donner à l’article équivalent dans la Loi sur les langues officielles des TNO étant l’article 11 », a justifié Me Faille, qui précise que le libellé des deux articles est très semblable.
Ce dernier avise que le procureur général des TNO déposera son mémoire dans ce dossier d’ici la fin mars et que lui-même, ainsi que Me Roger Tassé, qui ont été très actifs dans la cause plus près de nous opposant le gouvernement territorial à la Fédération franco-ténoise (FFT), participeront aux audiences de mai. L’avocat a réfuté que le GTNO appuie Industrie Canada dans son litige l’opposant au CALDECH.
« Notre position n’est pas de prendre partie […] mais simplement de donner une perspective sur l’interprétation que les tribunaux devraient donner à cette disposition-là, a-t-il indiqué. Ce qui est important pour le GTNO, c’est que la Cour prenne connaissance de l’impact possible de son jugement pour un gouvernement tel que le GTNO. […] Évidemment, l’incidence pour le gouvernement fédéral peut être une chose, mais l’incidence peut être toute autre pour un gouvernement tel que le GTNO ». Me Faille a notamment fait valoir que les ressources des gouvernements du Canada et des TNO ne sont pas les mêmes.
Que fera la FFT?
Par voie de communiqué, la FFT s’est indignée de la récente démarche du gouvernement territorial. « Le GTNO fait montre encore une fois d’une hostilité à notre endroit qui est peu commune au Canada. […] En s’acharnant contre nos droits avec une tactique juridique additionnelle, il illustre son obstination à se soustraire à ses obligations en matière de droits linguistiques », a déclaré son président Fernand Denault.
Au moment d’écrire ses lignes, la FFT était toujours à envisager ses options dans ce nouveau dossier. La Fédération pourrait être tentée d’envoyer ses avocats pour faire contrepoids à la présence du procureur général des TNO. Le président de la FFT semble d’ailleurs favorable à cette idée. « C’est important que la Fédération occupe le terrain. Autrement, le GTNO peut avancer tout argument sans avoir personne qui rajuste le pendule ».
M. Denault a précisé que le dossier sera présenté aux membres du conseil d’administration de la FFT lors de sa réunion qui était prévue pour le 27 février et qu’une décision sera prise ensuite.
Un facteur non négligeable à considérer pour la Fédération est son admissibilité au Programme de contestation judiciaire si elle participe à la cause de CALDECH. « Nous sommes inquiets que nous ne soyons pas couverts parce que, techniquement, c’est une autre cause », a affirmé Léo-Paul Provencher, directeur général de la FFT.
Me Roger Lepage, qui a représenté la Fédération dans son recours contre le GTNO pour non-respect de sa loi sur les langues officielles, est d’ailleurs à se pencher sur la question. Est-ce que la FFT sera prête à envoyer ses avocats même dans un scénario où elle ne serait pas admissible au Programme de contestation judiciaire? « C’est une décision du CA. Est-ce qu’il va y avoir d’autres sources de financement possible? Ce sont toutes des choses à regarder et à analyser », a indiqué Fernand Denault. Me Pascale Giguère, qui a plaidé en faveur de la FFT par le passé au nom du Commissariat aux langues officielles, sera des audiences de mai prochain dans le dossier CALDECH, mais prévient qu’elle ne sera pas d’un grand aide pour la Fédération cette fois-ci.
« Nous allons quand même être là, mais on ne représentera pas, c’est sûr, les intérêts de la FFT. Alors, si la FFT veut faire valoir ses intérêts, elle n’a pas d’autres moyens que d’être là. […] Je peux certainement comprendre que la FFT veule équilibrer le débat », a-t-elle souligné.