Mesurer la propagation d’une drogue dans une communauté n’est pas une mince affaire, car évidemment le chiffre d’affaires des vendeurs n’est pas connu comme c’est le cas pour les débits de boisson ou encore les magasins d’alcool. À Inuvik, le sergent de la GRC Bill Eubank n’a pas pu chiffrer l’importance du problème, car contrairement à l’ivrogne qui montre des signes clairs d’une surconsommation d’alcool, « il n’y a aucune manière de détecter la consommation de cocaïne », regrette le gendarme. Néanmoins, la cocaïne et son dérivé bon marché, le crack, deviennent de plus en plus accessibles aux TNO : « Le problème le plus important auquel font face les communautés en ce moment, est le trafic de drogues », affirme M. Eubank.
Le règne de la poudre blanche sur un individu le pousse souvent à commettre des crimes pour satisfaire sa dépendance. La prospérité économique ne serait pas étrangère au gain de popularité de la coke, croit Dana Heide, adjointe au sous-ministre des Services sociaux. Il soutient à la fois que le nombre d’accrocs est en croissance, mais que les centres de désintoxication ne reçoivent pas davantage de demandes d’admission.
La coke superstar
Fausse perception, corrige Malvin Larocque, directeur du Nats’ejée K’éh Treatment Centre de Hay River. « La population d’accrocs continue à grossir », constate-t-il. Il raconte avoir rencontré plusieurs clients et que plusieurs d’entre eux étaient pauvres. « Je ne sais pas comment quelqu’un qui reçoit de l’aide sociale peut s’offrir ça, a-t-il remarqué. Je ne vois pas cela comme étant une drogue de riche. » Non seulement les adultes consomment-ils de plus en plus souvent la cocaïne, mais les adolescents sont eux aussi happés par le fléau. La nature actuelle des services du centre de Hay River ne leur permet pas d’accueillir les plus jeunes en leurs portes, c’est pourquoi M. Larocque et son équipe poussent en ce moment un projet de centre pour les 15-24 ans.
Le manque de ressource pour traiter les jeunes ne devrait pas étonner outre mesure. Selon Layli Yazdani, coordonnatrice du Comité de justice d’Inuvik, les efforts sont concentrés sur la prévention et le traitement de l’alcoolisme. Elle ajoute qu’aux TNO « on ne parle pas des drogues ». L’hôpital Stanton de Yellowknife n’administre aucun substitut qui pourrait aider au sevrage d’un accroc. Des substances comme le gabapentin et le baclofen sont pourtant disponibles à une pharmacie de Yellowknife. Cependant, aucun médecin ne possède actuellement les compétences pour assurer le suivi d’un programme de désintoxication. M. Heide, du ministère des Services sociaux, prétend que pour se débarrasser d’un problème de consommation, il faut d’abord changer son mode de vie.
Le sergent Eubank d’Inuvik partage cette vision et c’est justement là que tout le drame se dessine : « Voulons-nous une clinique ici? Probablement autant que n’importe qui aux TNO. Mais il y a trop de pressions familiales, il n’y a pas de coupure pour permettre la guérison. »
Désintox : aucune continuité
S’il n’y a pas de coupure nette d’avec son environnement, l’accroc subit toutefois de nombreuses coupures dans son traitement. Quelqu’un qui voudrait s’en sortir doit d’abord être suivi par un médecin de l’hôpital Stanton de Yellowknife, puis séjourner quatre semaines au Nats’ ejée K’éh Treatment Centre à Hay River, pour ensuite rappliquer à Yellowknife afin de mettre la touche finale à son parcours par une démarche de guérison avec l’Armée du Salut. Pendant toute sa démarche, le patient doit trouver par lui-même une manière de faire garder ses enfants, le cas échéant.
La consommation de drogues peut aussi être le fait de petits futés qui agissent en toute légalité. Les Mad-Seekers, les surnomme Malvin Larocque, du centre de Hay River. Des médicaments sur ordonnance tel que le Perkaset (analgésique) ou encore des somnifères sont prescrits à ces « patients ». Ce n’est qu’après avoir perdu la confiance de tous les médecins d’une communauté que ces drogués non criminels se lanceront peut-être dans une démarche de désintoxication. Un pharmacien de Yellowknife a refusé de dire s’il possédait ou non du Perkaset, par crainte d’un cambriolage s’il admettait en garder en stock.