Décidément, je commence vraiment à adorer les gouvernements minoritaires au Canada. Avant, je les aimais, car les politiques résultantes étaient souvent des solutions de compromis qui nous évitaient souvent de devoir faire face à des solutions doctrinaires intransigeantes. Maintenant, je les adore ces gouvernements minoritaires, car la crise actuelle sur la Colline parlementaire est extrêmement excitante. Tout a débuté avec le premier ministre Harper qui a estimé que l’Opposition était trop ébranlée financièrement et moralement à la suite des dernières élections pour offrir une quelconque résistance. Il a donc décidé d’imposer sa philosophie gouvernementale comme s’il était à la tête d’un gouvernement majoritaire, sans compromis. Et maintenant, ça lui pète dans la face. En effet, pendant une semaine, les partis d’opposition ont travaillé d’arrache-pied afin de conclure une entente qui permettrait la mise sur pied d’un gouvernement de coalition, une première à la Chambre des communes depuis 1917. La réaction du premier ministre Harper ne s’est pas fait attendre. Selon lui, un tel gouvernement n’aurait aucune légitimité puisque personne n’a voté pour ce gouvernement. Je suis en profond désaccord avec cette interprétation.
Rare, mais légitime
D’une part, avec seulement 37 % des électeurs ayant voté pour lui, M. Harper devrait quand même être en mesure de reconnaître que près de 63 % des électeurs canadiens ne voulaient pas d’un gouvernement conservateur. À moins d’avoir des lunettes bleues, on ne peut prétendre que le Parti conservateur saura soulever bien des alliés dans cette crise parlementaire.
De plus, il faut attendre les sondages, mais je suis certain qu’un gouvernement de coalition qui recevrait l’appui du Parti libéral, du Nouveau parti démocratique, du Bloc québécois et même du Parti vert recevra aussi un appui majoritaire parmi les électeurs canadiens. De toute façon, entre les élections, ce sont nos représentants à la Chambre des communes (les 308 députés) qui gouvernent le pays.
M. Harper n’a pas beaucoup de solutions pour résoudre la crise qu’il a provoquée.
Il peut s’entêter en ne changeant rien à sa décision de ne pas offrir de plan de relance de l’économie et essayer de retarder l’inévitable. Cette solution est au détriment des intérêts des Canadiens, des chômeurs et des citoyens ordinaires. Unilatéralement (donc en harmonie avec la vision de gestion de M. Harper), il pourrait proroger la session actuelle afin de retarder pour un peu moins de deux mois l’inévitable renversement du gouvernement. Deux mois de perdus pour la relance de l’économie. Et à cela il faut ajouter les mois perdus en raison de la campagne électorale fédérale cet automne. Ou il peut faire volte-face d’ici une semaine en offrant un véritable plan de relance qui comprendrait des investissements majeurs du gouvernement en travaux d’infrastructure et en aide aux secteurs économiques éprouvés par la crise. M. Harper ferait un aveu public sur son manque de jugement et aurait à s’asseoir avec les leaders de l’Opposition pour négocier un compromis.
Finalement, alors que la grogne est évidente au sein même du Parti conservateur, M. Harper pourrait remettre sa démission au poste de premier ministre et laisser à son successeur intérimaire la lourde tâche de rallier une majorité en Chambre. Qu’il le fasse de lui-même ou qu’il soit forcé de le faire, je ne crois pas que M. Harper survivra une défaite parlementaire de son parti causé principalement par son insensibilité face aux préoccupations des Canadiens ordinaires.
Et Dion dans tout ça?
Dans les premières journées du mouvement parlementaire pour former un gouvernement de coalition, plusieurs commentateurs suivaient cela avec intérêt, mais sans trop attaquer les partis d’opposition. Mais cette tendance a changé au moment où les membres de la coalition ont annoncé que ce serait Stéphane Dion qui serait à la tête d’un éventuel gouvernement de coalition. Paria dans sa propre province, plusieurs commentateurs du Québec ont dénoncé vertement la possibilité d’un gouvernement dirigé par Stéphane Dion. Les réactions face à la nomination de Dion ont été moins négatives au Canada en dehors du Québec, sauf dans les châteaux forts conservateurs de l’Ouest. En fait, le Canada anglais voit beaucoup plus la participation du Bloc québécois à la coalition comme l’aspect négatif de cette affaire. Je dois mettre un petit bémol à cette critique du choix de Dion. Bon, j’aime pas beaucoup Stéphane Dion. Le seul bon côté du bonhomme, c’est d’avoir mis l’environnement sur la sellette lors des dernières élections fédérales.
Ce prétendant à la direction du pays a été catégoriquement rejeté par les électeurs. Pourquoi diable l’accepter comme premier ministre? Premièrement, il faut immédiatement souligner que son rôle ne sera pas de diriger le pays. Ce sera le gouvernement de coalition qui va gouverner. Il ne sera pas le leader. Tout au plus, son rôle sera celui, beaucoup moindre, de porte-parole du gouvernement de coalition.
Deuxièmement, la formation du gouvernement de coalition s’effectuant dans le contexte d’une course à la chefferie au Parti libéral, sa nomination est une façon de ne pas piper les dés pour l’un ou l’autre des candidats à la chefferie.
Troisièmement, il a été fort clair que la nomination est temporaire. Le futur chef du Parti libéral deviendra le porte-parole de la coalition, si elle peut survivre jusqu’au printemps.
Le temps d’une paix
Il y a eu seulement sept gouvernements de coalition au Canada depuis la Confédération, dont un seul au niveau du gouvernement fédéral, celui de 1917. En pleine Première Guerre mondiale, le premier ministre de l’époque, Robert Borden crée le gouvernement de l’Union afin d’imposer la conscription obligatoire. Le leader du Parti libéral, Wilfrid Laurier, refuse la proposition, mais plusieurs députés libéraux de l’Ontario joignent ce mouvement qui durera le temps d’une guerre.
Plusieurs économistes prévoient que l’économie mondiale entre dans la pire période de crise économique depuis le grand Crash de 1929 et que le Canada n’y échappera pas. On voit donc que le contexte semble propice à un gouvernement de coalition. On peut se demander cependant combien de temps cette coalition pourra durer. L’entente entre le Parti libéral et le NPD est valide jusqu’en juin 2011. Un aspect important de la survie de ce gouvernement de coalition sera l’appui du Bloc Québécois. Si le Bloc a refusé de participer au Cabinet, il devra cependant voter pour les mesures proposées par le Cabinet. Selon l’accord intervenu entre les partis, le Bloc accepte d’appuyer le gouvernement de coalition au moins jusqu’en juin 2010 (18 mois ).
Les trois partis politiques membres de la coalition ont tellement de différences idéologiques, qu’on se demande comment ils vont gérer cette cohabitation. Personnellement, je crois que le jour où un économiste de renom déclarera que la récession est terminée, la coalition va s’effondrer d’elle-même.