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le Jeudi 30 juillet 2009 15:23 | mis à jour le 20 mars 2025 10:37 Politique

Stratégie pour le Nord Fumée sans feu

Stratégie pour le Nord Fumée sans feu
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Le plan nordique des Conservateurs ressemble beaucoup à de la redite. Coup de pub? 

L’équipe conservatrice a mis le paquet pour l’annonce de son plan nordique: trois ministres en point de presse et retransmission internationale par satellite, le tout au frais des contribuables. Or, la « Stratégie pour le Nord » du gouvernement Harper, dévoilée en grande pompe le 19 juillet, ne contient rien de neuf. On se contente tout juste de consigner dans un même document l’ensemble des réalisations et des promesses faites par Ottawa depuis quatre ans dans les dossiers d’intérêt nordique (voir encadré).

« Je m’attendais à ce que le gouvernement divulgue les grandes orientations de sa politique nordique, commente le député de Western Arctic, le néo-démocrate Dennis Bevington. Mais finalement il n’y avait rien de tel dans ce qui a été présenté dimanche. »

L’hebdomadaire Nunatsiaq News d’Iqaluit n’a pas été impressionné non plus. En éditorial de son édition du 21 juillet, le périodique bilingue anglais-inuktitut qualifie la Stratégie pour le Nord de « feuillet de relations publiques » et se lamente du manque de vision à long terme pour le développement du Grand Nord canadien

En entrevue sur les ondes de CIVR Radio Taïga, le chercheur en géopolitique de l’Arctique Joël Plouffe, de l’Université du Québec à Montréal, concède que la Stratégie ne contient rien de neuf, mais estime que l’effort n’est pas vain pour autant. « Le gouvernement américain a fait la même chose au mois de janvier dernier, la Russie également, note-t-il. Tous les états du cercle polaire créent une politique de l’Arctique. Maintenant, c’est au tour du Canada de le faire. »

« Mais, poursuit-il, cette politique, il faut encore la mettre en place et la mener à terme. C’est ce que les Canadiens attendent et les résidents du Nord canadien en particulier, eux qui vivent les réalités nordiques à tous les jours. »

Surtout, le chercheur signale que les écrits restent. « Le gouvernement Conservateur en consignant tout cela dans un même document prend des engagements et, donc les Canadiens et les gens du Nord vont pouvoir demander des comptes. Si on investit, ou qu’on prévoit investir des millions de dollars dans le Nord canadien, il va falloir commencer à entamer les projets, à développer dans le Grand Nord et à acheter les choses qui sont promises. »

 

Souveraineté

Pierre d’assise du plan conservateur pour la région du Nord, le maintien de la souveraineté nationale dans l’Arctique n’est peut-être pas une nécessité aussi fondamentale que ce qu’Ottawa voudrait nous faire croire, pense Joël Plouffe. « Quand on fait nos devoirs, on se rend compte que la souveraineté canadienne dans l’Arctique, en tant que tel, n’est pas menacée », soutient le chercheur.

« Cependant, poursuit-il, il y a d’autres enjeux dans le monde circumpolaire, qui se transforme tous les jours. Il y a l’océan Arctique dont il faut définir les frontières, de même que l’étendue du plateau continental de chaque État. À ce niveau-là, oui, [le ministre des Affaires étrangères] Lawrence Cannon va devoir négocier certaines ententes et améliorer les relations avec la Russie, les États-Unis, le Danemark, enfin tous les États riverains du cercle polaire. Ce document [la Stratégie pour le Nord], comme tel, je ne crois pas qu’il va contribuer à quoi que ce soit à ce niveau-là. »

Le député de Western Arctic, Dennis Bevington, estime lui aussi que le Canada ferait mieux de s’engager dans la voie de la diplomatie internationale, plutôt que de collectionner les joujoux guerriers. « La seule vraie façon d’affirmer la souveraineté nationale dans l’Arctique, c’est par la conclusion de traités internationaux et ça ne fait pas partie des annonces des Conservateurs, dit-il. Ajouter un brise-glace à la flotte de la marine ne changera pas grand-chose. »

Le représentant des Territoires du Nord-Ouest à la chambre des Communes note que, à ce niveau, Stephen Harper déploie plus d’efforts à dorer son image qu’à améliorer la situation. « En août dernier, Stephen Harper s’est rendu à Tuktoyatuk pour déclarer que chaque bateau qui emprunte le passage du Nord-Ouest devra s’enregistrer auprès des autorités canadiennes. On a fait un gros spectacle. Mais allez voir sur le site Web [de la Stratégie pour le Nord], vous allez constater que rien n’a été fait depuis. Seulement des promesses. »

 

Pub électorale?

La possibilité d’une élection automnale pourrait ne pas être étrangère au choix du gouvernement de réitérer son engagement envers le Nord canadien, estime Joël Plouffe.

« On parle depuis longtemps des élections qui s’en viennent à l’automne, commente le spécialiste des relations circumpolaire. On sait bien aussi, quand on fait l’historique du gouvernement Conservateur depuis son élection, que la carte de la souveraineté dans l’Arctique a été importante. Jusqu’à quel point, je ne le sais pas. Mais on sait quand même que ça a été une stratégie électorale qui a été utilisée à maintes reprises. » D’après lui, il est « clair qu’il y a une stratégie électorale derrière tout ça ».

Le député de Western Arctic, éternellement hésitant à prédire la tenue d’élections fédérales, n’écarte pas la possibilité d’un geste d’abord politique. Mais il juge que, si tel est le cas, la cible a été ratée. « Je pense que les Canadiens voient clair dans le jeu des Conservateurs, dit-il. Je crois que les électeurs vont se rendre compte que ce n’est pas un très bon plan. »

Pour le néo-démocrate présentement en tournée de consultation avec ses concitoyens en vue du développement d’une politique canadienne pour la région du Nord, le plan conservateur présente des lacunes importantes dans les sphères de la gouvernance et du développement des communautés nordiques.

« Ça fait des années que le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, notamment, réclame des percées au niveau de la gouvernance des territoires. Je pense, ici, à toute la question de la dévolution de pouvoirs additionnels au gouvernement territorial. Eh bien, on a vu que le gouvernement [fédéral] est resté remarquablement muet sur cette question, lors du point de presse de dimanche. »

S’il avait à rédiger une politique nordique pour le Canada, le point que Dennis Bevington ne voudrait surtout pas omettre est celui de la création de « communautés durables » dans le Nord. Par là, il entend la réduction du coût de la vie nordique, le développement des infrastructures civiles et la promotion des énergies renouvelables.

« Il faut permettre aux résidents du Nord de vivre ici et d’avoir accès à une qualité de vie comparable à celle des autres Canadiens. Ce n’est pas le cas en ce moment. Plusieurs de nos résidents vivent dans des situations d’isolement inconcevables pour la majorité des Canadiens. C’est à ce niveau-là qu’il faut agir. […] Nous avons besoin de routes. Le gouvernement des TNO a un plan détaillé de développement de son infrastructure routière, mais ça avance au compte-goutte parce qu’il n’y a pas d’appui du fédéral. Je pense que le gouvernement ferait mieux d’écouter les gens du Nord : ils savent ce qu’ils veulent. »

Mais les préoccupations des populations nordiques sont trop souvent écartées du discours canadien sur l’Arctique. Ça, le Montréalais Joël Plouffe le concède volontiers. « C’est un gros problème : on ne parle pas nécessairement des enjeux qui affectent les communautés du Nord. On va parler de la fonte des glaces, on va parler des ours polaires, on va parler parfois des communautés qui sont délaissées, mais les enjeux de tous les jours des gens du Nord, non, malheureusement, ça ne passe pas. »

« Est-ce que c’est le rôle simplement du gouvernement? Je ne pense pas. Je pense que nous-mêmes, les Canadiens du Sud, nous avons le devoir dans les écoles, dans les universités, de faire en sorte qu’on puisse mieux enseigner le Nord aux gens du Sud. Je pense que c’est un devoir et j’espère que ça va se faire éventuellement. Maintenant, on en parle plus souvent, du Nord, ça devient plus intéressant. »

Les ministres des Affaires indiennes, Chuck Strahl, et des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, n’ont pas donné suite aux nombreuses demandes d’entrevue de L’Aquilon.