OTTAWA – « Clairement, les chefs des partis politiques ont beaucoup à dire au Québec, mais il faut qu’ils parlent à tous les francophones du pays. » C’est ce que déclarait la présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, quelques jours avant la tenue du débat en français du 24 septembre sur les ondes de Radio-Canada. Visiblement, l’appel de la FCFA n’a pas été entendu.
Au-delà des échanges portant sur le port du niqab, le pétrole et l’économie canadienne, il a été, comme c’est souvent le cas, largement question du Québec durant ce débat diffusé à la télé publique. Déçue, la FCFA estime que les chefs ont du même coup négligé 2,6 millions de francophones vivant à l’extérieur du Québec.
« Comment les chefs ont-ils réussi à faire tout un débat sans parler de nous? », se demande la présidente de l’organisme, Sylviane Lanthier.
« On a parlé en long et en large de la question de la clarté référendaire, mais on n’a même pas trouvé 30 secondes pour parler de respect des droits linguistiques. On a fait tout un segment sur le gouvernement au service des Canadiens sans dire un mot sur les obligations du gouvernement envers les minorités », se désole Mme Lanthier.
Sur les réseaux sociaux, la francophonie canadienne n’a pas manqué l’occasion de manifester son indignation pendant et après le débat, le mot-clic #nouscomptons prenant rapidement de l’ampleur sur Twitter.
« Il n’y a pas juste du pétrole en Alberta. Il y a aussi des francos qui voteront. Parlez de nos enjeux », clamait l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA).
« Un débat en français pour toutes et tous les francophones, pas seulement le Québec », a pour sa part exigé la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB).
Fait plutôt cocasse, le chef libéral Justin Trudeau a utilisé le mot-clic en question au terme du débat afin de se porter à la défense de Radio-Canada. Certains internautes ont tenu à lui rappeler qu’il a raté une belle occasion d’aborder la question pendant le débat.
Plaintes au CRTC
Les chefs de partis peuvent se consoler en se disant qu’ils n’ont pas été les seuls à soulever l’ire de la francophonie canadienne, avec le débat du 24 septembre. À titre de société d’État, CBC/Radio-Canada a été elle aussi pointée du doigt.
« Le diffuseur public a un mandat pancanadien et l’oublie souvent dans ses émissions nationales. Hier soir, ils nous ont oubliés une fois de trop », dénonçait Sylviane Lanthier au lendemain du débat.
« C’est déprimant. Et nous on se bat pour sauver Radio-Canada », écrivait sur Twitter le directeur général de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO), Peter Hominuk.
Irritée face au travail de Radio-Canada, la FCFA appelle ses membres à déposer une plainte au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), une option dont comptent se prévaloir plusieurs organismes.
Du côté du consortium médiatique derrière le débat du 24 septembre, on se défend d’avoir ignoré les francophones hors Québec.
« Nous ne sommes pas insensibles à la question, mais les thèmes du débat ont été choisis avec beaucoup d’attention, avec l’intention d’aborder des thèmes plus larges qui toucheraient l’ensemble des Canadiens et non des groupes en particulier », explique la porte-parole du consortium et employée de la CBC, Liliane Lê, citant notamment en exemples les dossiers de la santé et de l’environnement.
Mme Lê précise également que la campagne électorale ne se limite pas qu’au débat et que le diffuseur public tente d’assurer une couverture des enjeux propres aux communautés de langue officielle en situation minoritaire.
Pas seulement au débat
Par ailleurs, la FCFA souligne que les enjeux des francophones vivant à l’extérieur du Québec sont non seulement absents des débats des chefs, mais également de la campagne électorale dans son ensemble.
« Sur certains dossiers qui touchent l’ensemble de la francophonie canadienne, comme le financement de Radio-Canada, certains partis ont clarifié leurs engagements. Mais sur des enjeux qui touchent plus spécifiquement nos communautés et sur la question du respect de la Loi sur les langues officielles, à part de grandes déclarations de principe des chefs, c’est le silence radio », déplore Sylviane Lanthier.
Les organismes francophones disposent encore de quelques semaines, d’ici le jour du scrutin, afin de faire valoir leurs priorités et leurs enjeux auprès des candidats des différents partis, mais du côté de la francophonie, on semble avoir perdu espoir que ces mêmes enjeux soient sérieusement pris en considération dans le cadre de la présente campagne.
Pour leur part, les chefs auront une autre occasion de s’exprimer sur la question lors du débat organisé par la chaîne généraliste TVA, le vendredi 2 octobre. Or, TVA étant un diffuseur privé n’ayant pas comme mandat de représenter les intérêts de l’ensemble des francophones du pays, il ne faudrait pas se surprendre si les questions traitant des droits des minorités linguistiques sont à nouveau reléguées aux oubliettes.