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le Jeudi 9 février 2017 17:26 | mis à jour le 20 mars 2025 10:40 Politique

Compression budgétaire Et si on était « forts comme deux »?

Compression budgétaire Et si on était « forts comme deux »?
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Le consultant thérapeute Raymond Pidzamecky explique ce que signifie l’abolition du programme de travail social du Collège Aurora, en qualifiant cette décision d’un retour au colonialisme.
 

Le Collège Aurora fait face aux coupes prévues au Budget 2017-2018 du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest (GTNO). Au cours des trois prochaines années, le Collège Aurora subira au total des compressions à hauteur de 3,1 millions de dollars, incluant 1,9 million annoncé le 1er février dans le budget territorial.
Lorsqu’on aborde la question de l’élimination du programme de travail social dans son bureau de Yellowknife, le travailleur social et consultant Raymond Pidzamecky, qui compte une trentaine d’années d’expérience, affirme  : « Commençons avec le terme colonialisme. »
Il explique que pour passer outre le discours du genre « nous sommes ici pour vous sauver », il faut permettre aux étudiants d’acquérir des ressources qui leur permettent d’offrir leurs services aux collectivités. Ce que le programme de travail social du Collège Aurora réalise actuellement, à son avis.
« Le programme propose un mariage entre deux cultures. Ça me fait penser au chef Jimmy Bruneau qui avait dit : Soyez forts comme deux personnes. C’était un homme très sage, de Behchoko », raconte le thérapeute. Dans ses propos, le chef Bruneau soulignait l’importance d’avoir un modèle d’éducation biculturel et bilingue, où l’accent était mis sur les deux cultures de manière égale. Apprendre et être compétents pour deux, à savoir, dans le cas du chef Bruneau, le monde traditionnel des aînés tlicho et le monde moderne.
Pour M. Pidzamecky, la décision de fermer le programme de travail social va à l’encontre du principe de la force comme deux, de ces cultures qui travaillent ensemble. Les enseignements autochtones et non autochtones sont tous deux requis pour qu’un travailleur social soit compétent aux Territoires du Nord-Ouest.
« Et si [le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest] coupe ce programme et s’en débarrasse, alors ce n’est qu’une extension du colonialisme qui recommence », argumente-t-il.

Étudier ailleurs
Le 3 février 2017, le ministre de l’Éducation, de la Culture et de la Formation, Alfred Moses, mentionnait que le GTNO avait de bons programmes d’aide financière et qu’il continuerait à soutenir les étudiants qui seraient intéressés à étudier en travail social dans des établissements hors TNO.
Le GTNO mentionnait également en Chambre qu’il travaillerait avec les étudiants qui auraient des inquiétudes par rapport à l’élimination du programme de travail social, pour s’assurer que la transition dans ces établissements ailleurs au Canada s’effectue en douceur.
« [Mes jeunes clients] sont découragés, c’est horrible de les voir se faire couper l’herbe sous le pied. J’ai vu des clients aujourd’hui, ils sont si bouleversés, des jeunes de 16-17 ans, qui ont dit qu’ils aspiraient et travaillaient vers ce rêve d’aider leur collectivité et d’aller dans ces programmes. »
« Comment peux-tu envoyer une personne qui voudrait devenir travailleur social ailleurs au Canada et t’attendre à ce qu’elle ait la même expérience culturelle? Ça ne sera pas la même chose. J’ai vu le programme ici, c’est exceptionnel, leur manière d’intégrer et d’utiliser les aînés dénés dans leur programme. » La composante on the land — sur le territoire — porte une emprunte culturelle parlante.
« Est-ce que tu pourras aller on the land avec le peuple déné? Est-ce que tu vas être avec des personnes dénées que tu connais? Est-ce que tu vas être avec des personnes dénées avec lesquelles tu pourras collaborer par la suite? »
Il ajoute qu’il s’agit déjà d’une épreuve pour des résidents ténois de se rendre au Collège Aurora et de devoir ainsi s’éloigner de leurs familles et de leur collectivité. « Ils ont du soutien ici, qui est pertinent culturellement, qu’ils n’auront nulle part ailleurs.
J’ai demandé à mes clients jusqu’où ils iraient pour aller à l’école. Plus c’est loin de la maison, plus ils deviennent anxieux. Beaucoup d’entre eux ne sont pas à l’aise dans les grands centres urbains. Je pense qu’ils seraient découragés par le fait de devoir sortir des Territoires du Nord-Ouest. »
 
Rebâtir 150 ans

Le 3 février, le ministre de l’Éducation, Alfred Moses, mentionnait que le programme avait toujours eu de faibles taux d’inscriptions et de diplômés.
Ce à quoi M. Pidzamecky explique : « Tu ne peux pas prendre une culture qui a été colonisée et t’attendre à ce qu’elle se rebâtisse à son niveau de capacité d’origine en quelques années. Tu ne peux pas commencer un programme comme celui de travail social au Collège Aurora et dire que tu veux voir les résultats en cinq ou dix ans. On travaille contre 150 ans d’histoire des pensionnats indiens, alors c’est vraiment irréaliste et injuste. Ce n’est pas représentatif du potentiel du programme. D’accord, les nombres sont peut-être faibles, peu importe ce que ça veut dire pour le ministre ou pour les personnes qui font le budget, mais tu dois faire des investissements à long terme pour changer ces statistiques-là. »
Pour certains étudiants actuels ou futurs, les membres de leur famille sont allés dans des pensionnats indiens, et ils ont entendu les horreurs… Il y a de la peur, et le fait de retourner dans un contexte de résidences peut être difficile.
« J’entends des choses superbes sur la façon dont le collège les fait se sentir en sécurité et à l’aise. Le mot sécuritaire est tellement important. Imaginez juste avoir un historique familial de pensionnats indiens, les atrocités qui sont arrivées aux personnes quand elles sont allées dans les pensionnats. Après, on veut les envoyer dans des grands centres urbains, à l’extérieur de leur région. Imaginez à quel point ça peut être intimidant », affirme-t-il.

Travail social et éducation
Parmi les 34 programmes offerts au Collège Aurora, le programme de baccalauréat d’éducation sera également éliminé au cours des prochaines années. La présidente du Collège Aurora, Jane Arychuk, justifie l’élimination de ces programmes par le faible taux d’inscription, comme le rapportait le ministre. Elle a tenu à assurer que les étudiants actuels auraient le temps et l’offre de cours nécessaires pour obtenir leur diplôme.
En ce qui concerne la question du programme on the land, elle a affirmé que les jeunes qui reviendront travailler dans le Nord au terme de leurs études hors TNO devront suivre le programme culturel en ligne requis par le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest. À son avis, cela pourrait substituer ce volet culturel offert en ce moment.
Dans son rapport annuel 2015-2016, le Collège Aurora dénombre six diplômés embauchés dans des postes de travail social ou dans des emplois connexes. Il rapporte également le transfert de trois étudiants au Collège du Yukon pour leur permettre de terminer un baccalauréat en travail social. D’autres étudiants — le nombre n’est pas mentionné — planifiaient, quant à eux, faire un baccalauréat à distance.
Dans un monde idéal où les fonds ne seraient pas coupés, la présidente du Collège affirme qu’au lieu de voir le rétablissement du programme actuel, un diplôme de deux ans, elle prévoirait la mise en place d’un baccalauréat de travail social. Elle conclut en reconnaissant le besoin d’enseignants et de travailleurs sociaux aux Territoires du Nord-Ouest.