Improvisation, manque de substance, provocation, la publication du Cadre stratégique pour l’Arctique et le Nord du Canada oblitérée — à dessein? – par les élections fédérales, n’a pas bénéficié d’une grande couverture médiatique, mais n’en a pas moins récolté quelques critiques acerbes.
Il faut dire que le document, rendu public le 10 septembre, était attendu depuis fort longtemps. Le Canada a été coiffé au poteau par l’Allemagne et a failli l’être par l’Écosse, qui ne sont pas précisément des icônes du Nord comme le pays unifolié.
Développé avec des partenaires autochtones et gouvernementaux des trois territoires ainsi que du Québec, du Manitoba et de Terre-Neuve-et-Labrador, le document veut définir les actions à poser pour que les habitants du Nord bénéficient d’une même qualité de vie que les autres Canadiens dans un contexte de changements climatiques accentués et de course aux ressources à l’échelle internationale.
Le Cadre, valide jusqu’en 2030, propose huit buts étayés d’objectifs, qui vont de la santé à l’autodétermination des peuples autochtones en passant par la sécurité et l’économie. La section consacrée aux infrastructures, par exemple, fixe comme objectifs d’établir une connectivité à large bande passante accessible pour tous, d’améliorer l’accès à des solutions énergétiques propres, etc.
La seconde partie du Cadre, à paraître à une date indéterminée, apportera les mécanismes de gouvernance et le plan de mise en œuvre et d’investissement nécessaires à la réalisation de ces buts.
Tout en discrétion
Le Nunatsiaq News et le High North News (Norvège) soulignent à quel point la nouvelle a été publiée de manière quasi subreptice, « sans tambour ni trompette », titre le premier.
Dans le second, l’article étoffé de la journaliste Siri Gulliksen Tommerbakke s’intitule « Pourquoi les Canadiens sont provoqués par le document sur la nouvelle et ambitieuse politique ». La provocation en question serait de publier le document à un jour des élections, sans lancement officiel dans le Nord en compagnie des organisations concernées.
Au Nunatiaq News, l’article de Jim Bell souligne que dans l’esprit de partenariat qui est censé insuffler cette nouvelle politique, les gouvernements territoriaux et Inuit Tapiriit Kanatami ont écrit leur propre chapitre sur le développement du Nord, mais que, paradoxalement, ces chapitres ne sont pas endossés par le gouvernement canadien. « Un signe que le gouvernement fédéral peut avoir eu des difficultés à trouver un consensus », écrit M. Bell.
Heather Exner-Pirot est une spécialiste de l’Arctique bénéficiant d’une reconnaissance internationale. Dans son blogue pour le site Internet Regards vers l’Arctique, elle aborde les nobles intentions du Canada et observe qu’un tel consensus, bien que louable, était fatalement inaccessible en raison du nombre d’organisations impliquées.
« Le Canada veut être un leadeur arctique, conclut Mme Exner-Pirot. (…) Mais un leadeur arctique ne livre pas une politique arctique à moitié cuite à la 11e heure. »
À venir
Dans Over the Circle, un site consacré aux politiques arctiques et étrangères, le journaliste Marc Lanteigne met l’accent sur les défis de la connectivité et les problématiques d’environnement et de sécurité dans le Nord.
Dans le Yukon News du 11 septembre, le journaliste Julien Gignac revient sur la question des chapitres, révélant que le Yukon est le seul territoire à ne pas avoir encore rendu public son cadre stratégique. Son premier ministre, Sandy Silver, ne peut révéler quand ce sera fait, seulement qu’il sera distinct de celui des Premières Nations du Yukon.
« Where’s the beef? » demandent les anglophones lorsqu’ils cherchent la substance. Caustique, Bob Weber, de la Presse canadienne, adapte cette phrase avec « Where’s the caribou? »,
Les politiciens et spécialistes interrogés par le journaliste concluent tous que le document manque de concrétude, qu’il constitue, au mieux, une amorce.
« C’est un échec, assène Rob Huebert, de l’Arctic Institute of North America. Un vrai document de politique aurait inclus des choix difficiles et une direction future. »
Andrew Chater se veut plus positif dans son analyse, alors qu’il compare l’approche en vigueur sous Stephen Harper et celle de Justin Trudeau, plus inclusive, axée sur les citoyens du Nord.
« Si Justin Trudeau et son Parti libéral échouent à être réélus, conclut-il, ce nouveau programme deviendra une note de bas de page dans les politiques de l’Arctique. Si elle se transforme en action, elle représentera une étape importante dans la construction de la résilience du Canada. »
Interrogé par High North News, le directeur de l’Observatoire de la politique et la sécurité de l’Arctique, Mathieu Landriault, affirme au contraire qu’un nouveau parti au pouvoir pourrait difficilement rejeter toutes ces années de travail et ces témoignages, et qu’en ce sens, le gouvernement a opté pour une bonne stratégie.