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le Vendredi 6 novembre 2020 11:29 | mis à jour le 20 mars 2025 10:40 Politique

Le michif officiel? Peut-être pas cette fois-ci

Le michif officiel? Peut-être pas cette fois-ci
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Selon des spécialistes des enjeux linguistiques ténois, une réécriture de la Loi sur les langues officielles devrait faire plus de place aux langues autochtones.

Même si les circonstances peuvent sembler propices, avec la présente révision de la Loi sur les langues officielles, la Nation métisse des Territoires du Nord-Ouest n’a pas l’intention de demander à nouveau que le michif soit ajouté à la liste des langues autochtones officielles du territoire.

« Pas encore », de dire Vance Sanderson qui siège depuis plus de 15 ans au Conseil des langues officielles et est gestionnaire du programme des langues de la Nation métisse des TNO, qui comprend, outre le michif, le « bush cree », le denesuliné (chipewyan) et un dialecte déné.

M. Sanderson a déjà fait cette démarche dans le passé, mais avant de la répéter, il juge opportun « de faire un meilleur travail pour construire la maitrise de la langue et former des professeurs locaux ».

Il concède qu’en raison du petit nombre de locuteurs, une reconnaissance pourrait être difficile à obtenir.
Lors de sa comparution devant le comité de l’Assemblée législative des TNO qui procède à l’examen de la Loi, la commissaire aux langues sortante, Shannon Gullberg, a indiqué que la possibilité d’ajouter le michif aux langues officielles du territoire devrait être étudiée lors d’une éventuelle réécriture de la législation.

En attendant, Vance Sanderson souhaite que la nouvelle mouture de la Loi sur les langues officielles fasse place à davantage de promotion et de revitalisation des langues autochtones. « Il faut trouver une façon plus autochtone d’enseigner et de former nos gens pour mieux comprendre et utiliser les langues autochtones », avance-t-il.

Un immense déclin
Celle qui fut, dans les années 90, la première commissaire aux langues des Territoires du Nord-Ouest, Bettie Harnum, abonde dans le même sens. « Beaucoup de choses sont exigées en français, mais sont seulement optionnelles dans les langues autochtones, dit-elle. La Loi doit mettre davantage l’accent sur les langues autochtones parce qu’elles disparaissent tellement. Je suis ici depuis 45 ans et j’ai constaté un grand déclin. Il n’y a presque plus de jeunes qui parlent ou comprennent la langue. Ils apprennent à la lire et à l’écrire, mais ils n’en comprennent pas un mot. »

Pour Mme Harnum, la Loi, dans son état actuel, comprend déjà des dispositions pour protéger les langues, mais elles ne sont pas appliquées.

Elle considère que la traduction des sessions de l’Assemblée législative est une perte de ressources. « Personne n’écoute ça au complet », dit-elle. Elle suggère plutôt que soit traduite dans une langue donnée une synthèse de l’activité parlementaire hebdomadaire concernant la région où cette langue est parlée.

Commissaire et comités
Selon la perception de Mme Harnum, le rôle et la charge de travail du commissaire aux langues officielles ont été réduits comme peau de chagrin.

« Le travail de commissaire est presque devenu sur appel, déplore la linguiste de formation. Ce n’est pas sept jours sur sept comme ça l’était auparavant. Il faut faire plus de promotion. La meilleure façon de recevoir des plaintes, […] c’est de rejoindre la collectivité. Tu ne peux pas juste t’assoir et attendre que les gens t’appellent, parce qu’ils ne savent pas ce qui est dans la Loi, même après toutes ces années. Ils ne connaissent pas leurs droits et beaucoup sont effrayés. Et ils pensent : “si je dois aller à l’hôpital, je vais emmener ma petite-fille, parce qu’elle peut vraiment parler la langue.” Mais c’est vraiment contre la Loi. Le gouvernement doit fournir des services et former les gens. »

Mme Harnum affirme que la dernière fois qu’elle a postulé pour le poste de commissaire aux langues, on lui a reproché d’être trop partisane des langues autochtones. « Tu devrais l’être !, s’exclame-t-elle. La loi est conçue pour être réparatrice et résoudre des problèmes systémiques. »

Vance Sanderson est plus prudent. « Le rôle de commissaire vient avec des critiques et beaucoup de pression, considère-t-il. Il y a beaucoup de choses qu’on peut faire pour mieux l’appuyer […] plutôt que d’accuser, ou de dire que ça ne fonctionne pas. »

Mme Harnum concède que le seul pouvoir du commissariat est de faire des recommandations, qui n’obtiennent souvent que des réponses évasives de la part du gouvernement.

Elle se montre fort critique à l’égard du Conseil des langues officielles dont les membres, à son avis, connaissent mal la Loi sur les langues officielles et n’ont pas d’expérience de promotion des langues.

Éducation
Pour Vance Sanderson et Betty Harnum, la Loi sur l’éducation pourrait également être modifiée afin de mieux contribuer à la protection des langues autochtones.

« Elle inclut des éléments sur les langues autochtones, mais c’est faible », observe l’ex-commissaire aux langues Betty Harnum. Elle considère que le nombre d’heures d’enseignement est nettement insuffisant et que la langue devrait être incorporée à chaque matière, à tous les niveaux scolaires. Mme Harnum se demande en outre pourquoi le nouveau curriculum pour l’enseignement des langues autochtones « Our Languages », lancé la semaine dernière, n’est pas traduit, justement, en langues autochtones. La version française de ce document n’est pas disponible pour l’instant, non plus.
L’avocat et ancien président de l’Association franco-culturelle de Yellowknife, Jacques-Benoît Roberge, est favorable à l’augmentation des droits et services pour les langues autochtones. Cependant, note-t-il, « les besoins sont illimités, mais les ressources ne le sont pas. »

M. Roberge rappelle que l’Union européenne s’est entendue sur des langues de transfert et qu’au Canada, certains services bilingues ne sont obligatoires que dans certaines zones. « Peut-être faudrait-il favoriser les langues qui ont le plus de locuteurs ou qui sont le plus représentatives d’une région », suggère-t-il.