Le projet de loi C-15 vise à rendre l’ensemble des lois fédérales « compatibles » avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA). Si elle était adoptée, la loi créerait un processus de collaboration avec les peuples autochtones qui viserait à constituer un plan d’action pour harmoniser les lois fédérales avec la Déclaration d’ici trois ans. Un projet de loi qui soulève de nombreuses questions, selon certains experts.
Le chef national de l’Assemblée des Premières Nations (APN), Perry Bellegarde, a accueilli le projet de loi favorablement.
Par voie de communiqué, il a souligné que le projet de loi C-15 « contient des éléments clés que l’Assemblée des Premières Nations recherche depuis longtemps afin de faire en sorte que le Canada s’acquitte de ses obligations de respecter et mettre en œuvre la Déclaration ».
En date de publication, le bureau du chef national Bellegarde n’avait pas répondu aux demandes d’entrevue de Francopresse.
La Déclaration « a été adoptée en 2007 [par les Nations Unies] après plus de 25 ans de négociations », souligne Ken Coates, professeur à l’École supérieure de politiques publiques de l’Université de la Saskatchewan.
La professeure Karine Vanthuyne, de l’École d’études sociologiques et anthropologiques de l’Université d’Ottawa, ajoute que la Déclaration a été « négociée, discutée par des groupes autochtones et différentes nations autochtones pendant des années. Donc c’est vraiment un produit autochtone. »
« C’est un document exhaustif, qui couvre toute une gamme d’enjeux, des droits sur les ressources, à la langue, à la culture, à l’éducation, au logement, etc. », ajoute le professeur Coates.
Et la particularité du document, pour la professeure Vanthuyne, est qu’il reconnait des droits collectifs — contrairement à la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui reconnait des droits individuels.
Cependant, explique Ken Coates, il s’agit d’une déclaration des Nations Unies, et non d’un traité, donc il n’engage pas nécessairement les signataires au point de vue légal. Adhérer à la Déclaration n’engage pas un pays à se conformer légalement à ses principes.
Une « promesse »
Pour Jean Leclair, professeur à la Faculté de droit de l’Université de Montréal, le public devrait modérer ses attentes envers le projet de loi C-15 : « Tout ce qu’il dit, c’est que “le gouvernement du Canada, en consultation et en collaboration avec les peuples autochtones, prend toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce que les lois fédérales soient compatibles avec la Déclaration”. Donc autrement dit, on a mis sur papier, dans une loi, une promesse. »
Le projet de loi ne dit pas que la Déclaration a maintenant force de loi au Canada, et que les tribunaux doivent interpréter le droit canadien en conséquence, ajoute Jean Leclair. Elle implique seulement que le gouvernement, en discussion avec les groupes autochtones, élabore et mette en œuvre un plan d’action d’ici trois ans.
« Ce qu’il y a d’intéressant dans ce projet de loi, c’est de voir comment on rend les lois canadiennes conformes aux principes de la Déclaration. Donc c’est une discussion entre les groupes autochtones et le gouvernement », souligne Karine Gentelet professeure-chercheuse au Département de sciences sociales de l’UQO.
Une discussion qui s’annonce complexe puisque les peuples autochtones au Canada ne sont pas homogènes, ils présentent une grande diversité : « Ce sont des milieux de vie et des univers culturels qui sont souvent très différents, mais qui ont en commun un rapport particulier au territoire. Oui, il y a des enjeux qui sont communs pour les autochtones, mais il y a des enjeux sur lesquels ils sont profondément divisés », opine Jean Leclair.
« Il y a une énorme différence entre les provinces de l’Ouest où toutes les nations, sauf la Colombie-Britannique, ont des traités. Alors qu’au Québec et dans les Maritimes, il y a très peu de traités. […] Alors, quand les Autochtones se rencontrent, pour les Autochtones de l’Ouest, reconnaitre le droit issu de traités, c’est fondamental. Pour les autres, les enjeux ne sont pas nécessairement les mêmes, ce ne sont pas les mêmes questions », explique le juriste.
Pour Ken Coates, adopter un projet de loi avant un plan d’action consiste un peu à mettre la charrue devant les bœufs : « Si on doit avoir un plan d’action, pourquoi ne pas négocier le plan d’action avant d’adopter une loi ? »
Peter Russell, professeur au Département de science politique de l’Université de Toronto, rappelle d’ailleurs que la Commission de vérité et réconciliation a déjà déposé 94 « appels à l’action » pour transformer les relations entre le gouvernement du Canada et les peuples autochtones — en 2015, soit il y a 5 ans.
« La chose la plus positive qu’on peut dire [sur ce projet de loi] c’est qu’on va avoir des années et des années de négociations et de litiges pour découvrir ce que ça veut dire. Du côté plus négatif, ça ne veut pas dire grand-chose », évalue Ken Coates.