Le commissaire à l’intégrité de Yellowknife, Sheldon Toner, signe son premier rapport depuis l’entrée en vigueur du règlement sur le Code de conduite du conseil municipal de Yellowknife, en 2018.
Thomas Ethier – IJL – Territoires
Les commentaires controversés émis publiquement le 27 septembre et le 1er octobre 2021 par le conseiller Niels Konge enfreignent le code d’éthique du conseil municipal de Yellowknife. Le commissaire à l’intégrité de la municipalité de Yellowknife, Sheldon Toner, a émis cette conclusion dans un rapport d’enquête dévoilé le 10 février.
Le commissaire s’est fondé notamment sur les plaintes de six résidents formulées dans la semaine suivant les déclarations du 1er novembre. Dans son rapport, le commissaire parle notamment de commentaires « insouciants et insensibles, émis sans égard à des injustices du passé, mais également au racisme systémique persistant qui affecte toujours les personnes et les communautés inuites, métisses, des Premières Nations, et noires ». Il se garde toutefois de parler de racisme.
Adopté en 2018, le règlement sur le Code de conduite du conseil de la municipalité prévoit deux pénalités pour les conseillers contrevenants, soit le blâme public ou le retrait d’une rencontre du conseil. Le commissaire recommande d’imposer l’une ou l’autre de ces pénalités au conseiller Konge. Les deux tiers du conseil municipal devront voter en faveur de cette recommandation pour qu’elle soit appliquée.
Deux évènements controversés
Selon le commissaire, le premier commentaire, émis le 27 septembre 2021 par M. Konge, « n’aurait probablement pas, à lui seul, débouché, sur davantage de procédures ». « Le fait qu’il ait contrevenu aux standards éthiques du conseil à deux reprises, et ce, en une courte période de temps et de la même manière, appelle à considérer des sanctions », peut-on lire dans le rapport.
Lors d’une rencontre du conseil, M. Konge a comparé le sort des petites entreprises de Yellowknife durement affectées par les règles sanitaires, à celui des victimes de la rafle des années 1960. Il se portait alors à la défense de propriétaires qui s’opposaient à l’établissement d’un refuge pour sans-abris dans leur voisinage. Avant cette déclaration, un intervenant avait souligné que la majorité des sans-abris de la capitale subissent le traumatisme intergénérationnel causé par les pensionnats indiens.
« [Les petites entreprises de Yellowknife] doivent fermer leurs portes à cause de forces qui les dépassent largement, comme ce fût le cas lors de la rafle des années 1960. Le gouvernement a choisi d’enlever les enfants autochtones, et ces petites entreprises sont fermées par le gouvernement », a déclaré M. Konge. Le conseiller a présenté des excuses au cours de la même rencontre, qualifiant cette comparaison d’« horrible ».
C’est une récidive du conseiller qui a provoqué la tenue de l’enquête du commissaire. Lors de la rencontre du conseil municipal du 1er novembre 2021, M. Konge a comparé le système de preuve vaccinale à l’interdiction de s’assoir à l’avant d’un autobus, propos qui évoquent la ségrégation raciale imposée jusque dans les années 1960 à la population noire de certaines villes d’Amérique du Nord.
Selon ce qu’on lit dans le rapport, M. Konge tentait ainsi de faire valoir qu’une politique de preuve vaccinale serait injuste pour les jeunes de moins de 18 ans, qui n’ont que peu de pouvoir sur leur statut vaccinal. Il a présenté des excuses officielles lors de la rencontre du 8 novembre.
« Surpris » des réactions
La mairesse de Yellowknife, Rebecca Alty a condamné ces derniers propos au lendemain de la rencontre, dans un message publié sur Facebook, partagée 18 fois. Cette dernière a dirigé certaines des personnes ayant formulé des commentaires vers la procédure officielle de plaintes au Commissaire à l’intégrité.
La mairesse aurait discuté après coup avec M. Konge de l’importance d’utiliser des analogies équivalentes en matière de gravité, d’échelle et d’impact. « [M Konge] m’a semblé reconnaitre la nécessité d’émettre des comparaisons appropriées », aurait-elle indiqué au commissaire, dans le cadre de l’enquête.
L’administratrice municipale, Sheila Bassi-Kellett, aurait pour sa part déploré les propos du conseiller dans un courriel envoyé le 2 novembre à l’ensemble des employés municipaux, et inclus au rapport du commissaire. Trois membres du personnel lui auraient au préalable rapporté que ces commentaires de M. Konge « n’avaient pas lieu d’être » et « qu’ils étaient embarrassants ».
« Durant ce débat, le conseiller Konge a émis un commentaire raciste et a tenté de faire un parallèle entre les personnes non vaccinées et le racisme et la persécution subie par les personnes noires à une époque où [elles] ne pouvaient s’assoir à l’avant d’un autobus, peut-on lire. Ce commentaire a été émis par un individu. C’est mal. C’est raciste et ce n’est pas acceptable. Pour ceux d’entre vous qui ont été directement affectés par ce commentaire, je suis profondément désolée. Cela ne représente pas les valeurs défendues par la municipalité de Yellowknife. »
Mme Bassi-Kellett aurait indiqué avoir discuté avec M. Konge et croire sincèrement qu’il éprouve des remords et qu’il comprend à quel point ses commentaires étaient déplacés. Le conseiller lui aurait dit avoir été « un peu surpris » de la réaction du public suivant sa comparaison avec la rafle des années 1960, et indiqué qu’il ne croyait pas que ce commentaire serait perçu comme malveillant à l’endroit des survivants.
Lors de son entretien avec le commissaire, M. Konge aurait reconnu d’emblée que les deux commentaires étaient inappropriés, et exprimé sa volonté de suivre une formation de sensibilisation culturelle et de lutte contre le racisme.
Propos insensibles, mais pas racistes
Dans une analyse des propos tenus par Niels Konge, le commissaire indique que « peu importe ses intentions, le conseiller n’a pas traité chaque personne avec dignité, compréhension et respect et, ce faisant, n’a pas exercé ses fonctions d’une manière qui favorise la confiance ». Ce manquement constitue selon lui une infraction à certains articles du code d’éthique.
M. Toner déplore aussi l’aisance du conseiller à avoir ainsi eu recours à de telles comparaisons. « Cette approche démontre peu d’égard pour les sérieux impacts de la rafle des années 1960 et pour la ségrégation raciale dont sont victimes les personnes et communautés inuites, métisses, des Premières Nations et noires », lit-on.
Le commissaire apporte toutefois des nuances aux accusations de racisme lancées par les six plaignants. Il affirme que les commentaires de M. Konge ne constituent pas « un cas de racisme, mais bien d’insensibilité à l’égard de personnes racisées ». « [Ces deux commentaires] n’étaient dirigés vers personne. Le conseiller n’a discriminé aucun des plaignants et ses comparaisons n’étaient pas racistes outre mesure, lit-on. Le fait qu’il était surpris de la forte réaction provoquée par ses commentaires confirme que ses intentions n’étaient pas expressément racistes. »
Le commissaire à l’intégrité a par ailleurs souligné à grand trait l’importance de la liberté de parole dans le cadre d’une assemblée telle qu’un conseil municipal. « Avant d’imposer un blâme public ou le retrait d’une rencontre du conseil, mentionne-t-il, je m’attendrais à ce que le conseil ait un débat vigoureux avec une discussion soulignant l’importance de permettre aux membres d’exercer sans crainte leur fonction démocratique. »