Cette constatation, seule une personne sur le terrain peut la faire, car le bureau des statistiques des T.N.-O. n’a jamais fait d’études sur les avortements à répétition. Un récent article de la revue d’épidémiologie des T.N.-O., EpiNorth, fait la lumière sur ce sujet qui se retrouve rarement en manchettes. Son auteur, une infirmière d’Inuvik, a demandé l’anonymat, afin de protéger la confidentialité de ses patientes.
« Certaines femmes n’ont pas de contrôle sur leur vie. Elles vivent dans la violence, l’abus, l’alcoolisme. Elles ont encore moins de contrôle sur leur grossesse. » L’infirmière fait le constat à partir de son travail quotidien. Elle intervient auprès des femmes désirant se faire avorter en leur offrant un service d’orientation. Selon l’article d’EpiNorth, la majorité des patientes proviennent de milieux dysfonctionnels et ne serait pas plus vigilante avec la contraception après un avortement. « Ces femmes ne voient pas la contraception comme une priorité. » La soignante n’hésite pas à avancer que le taux d’avortements à répétition aux T.N.-O. est le plus élevé au Canada. « Il n’y a pas de statistiques, mais c’est ce que je vois… ». Au Canada, 29 % des avortements effectués en 1993 étaient des cas répétés.
La spécialiste en santé féminine déplore le manque d’éducation auprès des femmes. « Nous devons donner plus d’appui à ces femmes, les éduquer sur les moyens de contraception. C’est frustrant de les voir. Elles semblent si perdues. » Selon l’infirmière, les distances géographiques empêchent un suivi efficace auprès de ces patientes.
Le Conseil sur la condition de la femme des T.N.-O. n’a jamais fait de sortie officielle sur le sujet. Le problème soulevé par l’infirmière d’Inuvik n’est toutefois pas passé inaperçu auprès du groupe. « Ce n’est pas un sujet que l’on aborde facilement », explique Barbara Saunders, directrice exécutive, en ajoutant qu’un service d’orientation et d’éducation sexuelle pour les femmes serait bienvenu. « Il serait temps. » L’Association des femmes autochtones des T.N.-O. a les mêmes réserves. « C’est une question très délicate, révèle Lisa Charlo-Pieper, présidente du conseil d’administration. Pour nous, c’est un dossier qui touche les familles. Nous leur accordons notre appui. »
Statistiques
André Corriveau, sous-ministre adjoint et responsable de la santé publique, n’avait pas eu vent du problème avant de participer à l’élaboration de la revue EpiNorth. Puisqu’il n’y a pas de statistiques, le docteur est réticent à prendre position. Il estime toutefois que les T.N.-O. ne sont pas dans une situation critique. « Notre ratio d’avortement est le même que celui du Canada. Nous avons en plus un taux de natalité plus élevé. » Au Canada, en 1995, il y avait 28 avortements pour 100 naissances. Aux Territoires du Nord-Ouest, entre 1996 et 1998, ce ratio était de 29 avortements pour 100 grossesses menées à terme. Barbara Saunders ne voit pas ce taux de natalité élevé comme un signe de vitalité, mais plutôt comme un manque d’éducation sexuelle. « Il faudrait expliquer un peu plus aux jeunes filles quelles sont les conséquences des rapports sexuels. »
Avoir accès à l’avortement est aussi facile ici qu’ailleurs, soutient André Corriveau. « Les médicaments sont gratuits pour les Autochtones. » Il reconnaît que les distances physiques peuvent faire changer d’idée une femme confrontée à une grossesse non désirée. « Ce n’est pas évident de dissimuler aux parents une visite à l’hôpital pour un avortement quand tu dois sortir de ta communauté. » Il donne en exemple l’époque où il pratiquait au Nunavik, dans le nord du Québec. Les patientes étaient envoyées à Montréal pour subir un avortement.
Ce manque de confidentialité est un obstacle aux services médicaux dans les petites communautés. Surtout lorsque l’intervention touche un sujet aussi tabou. « On ne peut pas rendre ça plus accessible, ajoute André Corriveau. Tout le monde se connaît dans les communautés. »
L’infirmière d’Inuvik considère que tous les éléments sont en place, dans les communautés, pour faciliter l’accès à l’avortement. Celle qui allègue que les gens ont toujours des réserves face au dossier ne croit pas que les réticences proviennent de valeurs judéo-chrétiennes. « C’est peut-être légal aujourd’hui, mais il y a tellement de prises de position différentes sur l’avortement. » Barbara Saunders, qui est persuadée du contraire, compte discuter de la situation avec le Conseil sur la condition de la femme prochainement.