Lors d’un symposium organisé à Québec, en novembre dernier, par le Groupe d’études inuit et circumpolaires (GÉTIC), des résultats surprenants ont été dévoilés à l’assistance composée de décideurs en provenance de l’Alaska, du Nord canadien, du Nord de l’Europe et de la Russie. Une équipe de chercheurs du GÉTIC, dirigée par un professeur de l’Université Laval, Gérard Duhaime, a conclu, au terme de l’étude Développement durable dans l’Arctique : Condition de la sécurité alimentaire durable, que la nourriture traditionnelle des peuples inuits du Labrador, du Nunavik et du Nunavut est toujours de très bonne qualité.
Ces résultats étaient très attendus par les différentes personnes qui oeuvrent dans le secteur de la santé publique au sein des pays circumpolaires. Depuis quelques années, les Inuits ont remarqué que la santé générale du gibier qui compose leur alimentation traditionnelle est en déclin. De plus en plus de contaminants se déposent dans les graisses animales et se transmettent à l’humain par ingestion. Ces polluants organiques persistants (POPs) ont, pour la première fois, été détectés dans l’Arctique canadien en concentration anormale au cours des années1980. La population inuite, confrontée à la présence d’animaux malades, a manifesté ses inquiétudes auprès des instances de santé publique. L’étude a rassuré les décideurs et la population touchée au terme d’une vaste enquête sur le terrain qui a duré cinq ans.
Ce qui rassure moins ce segment de la population, et plus particulièrement les groupes vivant dans l’Arctique canadien, c’est la menace économique qui pèse sur le panier d’épicerie. En cours de recherche, les chercheurs provenant tant du Québec que du Nord de l’Europe ont constaté que les coûts des denrées de base et de l’équipement de chasse et de pêche provoquent un déséquilibre du budget familial. Une situation qui compromet la sécurité alimentaire des populations visées. « Quand on a commencé la recherche dans l’Arctique canadien, explique le directeur du programme de recherche, Gérard Duhaime, notre hypothèse principale était qu’il y avait un problème lié à la contamination. On s’est aperçu que ce n’était pas vrai. Pour le ménage moyen, dans l’Arctique canadien, le problème principal, c’est d’avoir assez de revenus pour être capable soit d’acheter l’alimentation dont ils ont besoin dans les épiceries, soit l’équipement nécessaire pour faire la chasse ou la pêche. » Les ménages moyens peuvent débourser jusqu’à 50 % de leur budget pour s’alimenter. « Une proportion qui, dans d’autres parties du monde, nous ferait dire que ces gens-là sont en sous-développement », révèle Gérard Duhaime.
Les solutions à ce problème sont diverses. Tant la mise sur pied de programmes d’uniformisation des prix que l’accessibilité à la viande de gibier sur le marché peuvent accroître la sécurité alimentaire des populations inuites du Grand Nord canadien. Déjà, des projets pilotes sont en place au sein des chaînes alimentaires pour qu’elles stabilisent leurs prix. « On pourrait instaurer des programmes qui contrebalancent les effets de la disparité régionale et qui font que les prix du secteur de l’alimentation sont extrêmement élevés », indique le directeur de recherche, spécialisé en économie agroalimentaire. Ce dernier aimerait voir également les différentes législations fédérales et territoriales qui encadrent la vente de viande de gibier assoupli. Il donne l’exemple du Groenland qui a donné le feu vert à la commercialisation de la viande sauvage. « Ça ne fait pas scandale et ça permet aux Groenlandais, y compris ceux des gros centres, de continuer à manger de la baleine ou du renne parce qu’ils ont accès sur le marché à ces aliments-là, même s’ils sont salariés et qu’ils n’ont pas le temps d’aller à la chasse et à la pêche », révèle-t-il.
En dépit du fait que, même si la situation n’est pas alarmante, elle nuit à la qualité de vie de plusieurs centaines d’individus, la question suscite peu de débats. Même au Conseil de l’Arctique, un organisme international promulguant la coopération circumpolaire, cette question n’est pas à l’ordre du jour. « Mais il y a des régions dans le monde circumpolaire où les problèmes liée à la sécurité alimentaire sont beaucoup plus vifs que ce que l’on retrouve en Amérique du Nord, en Alaska ou au Groenland, tient à spécifier Gérard Duhaime. Ce dont on parle, ce sont des situations de détresse, comme il s’en vit présentement dans le nord de la Russie. » Les populations indigènes de cette région n’ont tout simplement pas accès à une alimentation de base.
Lors du symposium de novembre, tous les partenaires-clefs de l’Alaska, du Groenland, du Nord canadien, de l’Europe et de la Russie ont été informés des résultats. Une série de brochures sera produite prochainement et distribuée dans la population et auprès de spécialistes. Le médecin hygiéniste en chef des T.N.-O., André Corriveau, n’a pas encore reçu le rapport final, mais assure que l’information sera diffusée. « Il y a intérêt à communiquer cette information. Nous avons été très impliqué dans ce dossier au début des années 1980 », indique-t-il, ajoutant que la population autochtone des T.N.-O. est également exposée aux contaminants. « S’il y a des effets sur la santé qui se manifestent, ce sera dans l’Arctique de l’Est. Si rien ne compromet la santé des gens dans cette région, nous avons encore moins à nous inquiéter. »