Le gouvernement ténois a dû se défendre sur plusieurs fronts après avoir annoncé réduire les services obstétriques à l’hôpital territorial Stanton.
Difficile de dire si les services d’accouchement auraient été suspendus à l’Hôpital Stanton si les quatre postes de sagefemmes prévus pour Yellowknife avaient été pourvus, mais ça « aurait contribué à renforcer les services existants », croit la présidente de l’Association de sagefemmes des Territoires du Nord-Ouest, Heather Heinrichs. La ministre de la Santé, Julie Green, est d’avis que ça n’aurait rien changé, tandis que des voix s’élèvent pour dénoncer les conditions de travail des infirmières.
Les Ténois ont appris le 22 novembre dernier que les services de travail et d’accouchement seront réduits à un service d’urgence seulement à l’Hôpital territorial Stanton, du 10 décembre prochain au 21 février 2022. Quelque 90 femmes des Territoires du Nord-Ouest et une trentaine du Nunavut devront ainsi se rendre à Edmonton avant ou pendant leur 37e semaine de grossesse et y passer entre trois et cinq semaines.
L’Administration des services de santé et des services sociaux des Territoires du Nord-Ouest (ASTNO) a pris cette décision à cause de problèmes de dotation en personnel infirmier. La norme pour le travail et l’accouchement requiert une infirmière spécialisée en obstétrique par patient, un ratio 1:1, ce qu’il est impossible d’assurer actuellement, selon L’ASTNO. L’organisme plaide que tout le Canada « souffre d’une pénurie d’infirmiers » et que cette décision a été « entièrement motivée par la sécurité [des mères] et celle de leur nouveau-né ».
Quatre postes de sagefemmes vacants
Alors qu’il y a crise dans le département d’obstétrique, le gouvernement semble pourtant s’être trainé les pieds pour pourvoir les quatre postes de sagefemmes à Yellowknife. Fin mars, le GTNO s’était engagé à investir 600 000 $ dans le programme territorial de sagefemmes, ce qui devait couvrir, entre autres, ces postes. Deux de ceux-ci ont seulement été affichés le 15 novembre dernier et les deux autres ne le seront qu’en 2022, bien que le financement soit disponible depuis juin.
« On ignore pourquoi ils viennent tout juste de commencer à recruter », dit Heather Heinrichs, présidente de l’Association de sagefemmes des Territoires du Nord-Ouest. Elle est d’autant plus perplexe compte tenu de la suspension des services réguliers d’accouchement, une nouvelle qui les a surpris. « On savait qu’il y avait des problèmes de recrutement, mais pas à ce point-là. »
Selon la ministre de la Santé, Julie Green, l’embauche des sagefemmes n’aurait pas résolu le problème.
« Le champ de pratique des sagefemmes est différent de celui des infirmières obstétriques », a-t-elle répondu à la députée de Great Slave, Katrina Nokleby, lors d’un échange à l’Assemblée législative, le 25 novembre. « Même si on avait affiché les postes de sagefemmes et qu’on avait été assez chanceux pour les avoir déjà tous pourvus, on serait dans la même situation aujourd’hui à cause du manque d’infirmières obstétriques. […] Elles ne sont pas interchangeables. »
La ministre n’a pas répondu à la question de la députée à savoir pourquoi les démarches pour pourvoir ces quatre postes n’ont pas été entreprises plus tôt. En conférence de presse, le 1er décembre, la directrice générale de l’Administration des services de santé et des services sociaux du territoire, Kim Riles, a expliqué cet échéancier par les efforts de description de poste qui auraient été entrepris à partir de juin 2021. « Nous avons obtenu une approbation de dernière minute du gouvernement en juin pour les deux premiers postes. Nous ne nous attendions pas à ce que cela se produise durant la présente année fiscale », a-t-elle expliqué.
Selon le gestionnaire des communications de l’ASTNO, David Maguire, ces quatre futures sagefemmes vont servir les familles à travers tous les TNO. « Cela signifie que la plupart du travail de cette équipe sera à l’extérieur du milieu hospitalier, dans les collectivités et les maisonnées », écrit-il dans un courriel.
Que des sagefemmes se présentent avec leurs clients ou non, « il faudrait quand même une unité obstétrique pleinement pourvue », admet Heather Heinrichs. « Les sagefemmes qui opèreraient dans le système hospitalier ne changeraient pas nécessairement le nombre d’infirmières nécessaires, poursuit-elle. Mais s’il y a des sagefemmes sur le plancher et qu’il y a un pic d’activité ou moins d’employés, les sagefemmes peuvent aider à combler des lacunes. Ça crée un système plus résilient grâce à une équipe forte. »
Peu d’écoute pour les infirmières
Et il semblerait que les lacunes sont nombreuses dans l’unité obstétrique. Trois membres du personnel infirmier ont raconté à Cabin Radio, entre autres, ne pas toujours être capables d’offrir le ratio 1:1. L’un d’entre eux a affirmé s’être déjà occupé de quatre femmes en travail en même temps. Tous se plaignent du manque d’écoute des patrons.
La députée de Kam Lake, Caitlin Cleveland, a plaidé leur cause jeudi dernier à l’Assemblée législative : « Les demandes des infirmières [obstétriques] à la suite de réunions, de sondages ou d’examens restent ignorées. Elles ont exigé une quatrième professionnelle par quart de travail. Les gestionnaires ont refusé à cause du taux de naissance peu élevé. » Ils refusent aussi des congés, du temps partiel et les longs quarts de travail ne permettent pas de concilier travail-famille, rappelle-t-elle. « Les infirmières sont fatiguées, dépassées et elles ne sentent pas écoutées. On est parfois si accaparé sur la science des opérations qu’on perd de vue le cœur. »
C’est dans ce contexte difficile que les sagefemmes auraient pu aider, croit Heather Heinrichs. « La charge de travail sur les infirmières serait très différente, puisque la sagefemme est avec sa patiente durant le travail. »
« Là où il y a des sagefemmes, les services d’accouchement sont plus stables, continue-t-elle. L’un des buts du programme territorial de sagefemmes a toujours été de renforcer et d’augmenter la stabilité des services d’accouchement à travers le territoire en incluant les sagefemmes dans une équipe interprofessionnelle. »
Le porte-parole de l’ASTNO, David Maguire, détaille de son côté que l’unité obstétrique compte deux postes à temps partiel et nécessite 15 employés travaillant l’équivalent de 13,5 temps plein. « On a présentement cinq employées en congé de maternité, une 6e le sera bientôt, un individu a quitté le Nord et deux autres ont quitté pour un poste sans quart de travail à l’intérieur de l’ASTNO », énumère-t-il. « Tous ces départs, couplés à la difficulté d’embauche, ont conduit à la réduction de services ».
Une interruption très couteuse
Cette réduction de services sera d’ailleurs très couteuse aux contribuables. Selon la ministre de la Santé, Julie Green, il faut compter « environ 12 500 $ pour la patiente et son accompagnant pour aller à Edmonton et y séjourner 28 jours. » Ces frais n’incluent pas les couts des services hospitaliers en Alberta, mais seulement les vols et les indemnités pour l’hébergement, le transport et les repas pour les deux personnes, a-t-elle dit le 26 novembre à l’Assemblée législative.
Le député de Yellowknife Nord, Rylund Johnson, en a vite conclu que tous les couts associés à la fermeture auront vite dépassé le million. « La fermeture coute beaucoup plus que de financer un poste d’infirmière obstétrique », a-t-il dit.
La ministre Julie Green a reconnu que « peut-être que la valeur d’une quatrième personne à long terme sera que les gens seront plus capables de prendre leurs heures de congé. C’est certainement quelque chose en quoi je suis intéressée. »
D’ici là, l’ASTNO promet de réévaluer sur une « base continue » la réduction des services à l’hôpital. Ceux-ci pourraient être « rétablis plus tôt si possible, ou seront retardés davantage si la dotation en personnel ne s’améliore pas ».