Patrimoine canadien (PCH) a mandaté 15 experts pour appliquer une « théorie du changement » à cette problématique fondamentale au sein des communautés francophones : la transmission de la langue aux jeunes. Certaines stratégies sont innovatrices.
« Parmi les résultats visés auprès des jeunes, note une participante, la sociologue Mireille McLaughlin, le plus significatif est celui où les jeunes se disent à l’aise de parler en français. » Elle mène présentement des enquêtes « pour savoir ce qui permettrait de prédire que les parents souhaiteront transmettre le français à leurs enfants ».
La professeure de l’Université d’Ottawa aurait ainsi identifié, parmi les questions de revenu et d’éducation, la variable la plus influente.
« L’aisance en français ne se développe pas à l’âge adulte. En fait, les études sur l’insécurité linguistique à travers le monde montrent que celle-ci tend à se développer à l’adolescence. Une jeunesse qui se sentirait à l’aise à parler en français aurait donc, rendue à l’âge adulte, plus de chance de souhaiter transmettre le français à ses enfants. »
L’initiative de PCH remonte à l’évaluation du premier Plan d’action pour les langues officielles 2003-2008, menée par le consultant Marc Johnson. « On avait remarqué des incohérences dans les programmes qui étaient éparpillés dans plusieurs ministères avec une variété de résultats visés. On avait alors exploré une autre approche pour voir comment le changement devrait se produire. »
Dix ans plus tard, l’idée est reprise à la Direction générale des langues officielles, précise le président de Socius recherche et conseils. « On nous a demandé de tester la théorie et ça a donné ce rapport », intitulé TRANSMISSION de la langue française aux jeunes francophones en milieu minoritaire – Théorie et stratégie.
« La théorie du changement, précise Marc Johnson, est une approche sociologique qui implique tous les acteurs dans une question de politique publique. C’est le design d’un changement de nature complexe. Si on fait bien ça, le résultat est plus pertinent. »
Outillés d’un bilan de recherche, les experts (chercheurs, fonctionnaires et militants) ont fixé un résultat ultime pour 2026 : « Une part croissante des familles transmet le français à leurs enfants. » Ils ont ensuite construit un diagramme comportant une séquence de 19 résultats ciblant surtout les parents et les jeunes. Voici des exemples.
Les parents :
- – sont conscients de l’impact de leurs choix linguistiques;
- – utilisent les services en français dans leur communauté;
- – s’affirment, professionnellement, comme francophones;
- – sont outillés afin d’accompagner leurs enfants en français;
- – valorisent les services à la petite enfance et les écoles de langue française.
Les jeunes :
- – sont à l’aise de parler français;
- – sont conscients de leur statut linguistique dans la société;
- – font une place au français dans leur vie;
- – sont entendus dans leur communauté;
- – coproduisent la culture francophone.
Mireille McLaughlin enseigne à des jeunes de partout « qui sont déjà prenants pour le projet francophone. Quand on parle de culture francophone, ils sont plusieurs à dire qu’ils ont l’impression que le projet de société francophone ne les représente pas. Ils ne partagent pas les mêmes angoisses que les leaders des communautés. Ils ont d’autres priorités, intérêts et façons de vivre leur rapport au français. De là est venue l’idée de coproduire la culture.
« Une démarche toute simple serait, par exemple, de créer un programme où les jeunes choisissent les projets qui leur semblent porteur d’avenir pour la francophonie. Qu’ils décident des objectifs de ce programme et des projets. Toute démarche offrant une part décisionnelle réelle aux jeunes leur permet de coproduire la francophonie », conclut-elle.
Comment ce rapport sera-t-il utilisé? On peut lire dans la conclusion qu’il permettra à PCH « de mieux situer le contexte de ses interventions et des pistes d’action à suivre afin de jouer un rôle pertinent, efficace et complémentaire à celui des autres intervenants. D’autres institutions fédérales ou provinciales pourraient tirer profit de cet exercice ».
« Le document appartient à tous ceux qui l’ont produit », ajoute Marc Johnson. Aucune démarche de promotion n’est prévue, chacun peut le proposer à son organisation. »