Partir de Saïgon, pour s’installer d’abord à Edmonton, puis à Yellow-knife, est une avenue peu explorée au détour de la soixantaine. Pourtant le vent de liberté « Canada » a soufflé sur M. Phung et sa famille. Dans la roulotte aux odeurs d’épices, Bac Phung m’ouvre la porte et me souhaite la bienvenue. Tout naturellement, il se met à parler, un mélange de français, d’anglais et de vietnamien puisque sa femme, toute menue, lui demande de traduire les questions de la journaliste. « Quand je suis arrivé ici, j’allais faire les commissions et personne ne parlait le français. J’ai appris l’anglais dans les livres, par moi-même, en traduisant certains mots du français vers l’anglais », raconte M Phung, qui a eu 72 ans cette année.
C’est l’aînée de la famille qui a parrainé ses parents pour qu’ils puissent s’établir au Canada. Actuellement, l’unique garçon de la famille et deux de ses s¦urs habitent à Yellowknife avec grand-papa et grand-maman, tandis que deux autres demeurent aux États-Unis. Quatre de leurs filles vivent toujours au Vietnam.
Le Vietnam qu’ont connu M. Phung et sa femme, c’est d’abord l’Indochine française. « Je travaillais au sein de l’Armée française pendant la Deuxième Guerre mondiale. Puis, ensuite, durant la Guerre du Vietnam, je me suis battu contre les communistes de 1946 à 1975 », raconte M.Phung. Il a passé 45 ans de sa vie dans la jungle, en partie, à cause d’une sale guerre qui a fait plus de 1,5 million de morts. Un pays, deux allégeances. Le Vietnam du Nord communiste affrontait le Vietnam du Sud capitaliste. Le Nord a gagné et Bac Phung a perdu dix années de sa vie en prison puisqu’il était considéré comme un ennemi dans son propre pays. Dix ans à se nourrir, quotidiennement, d’une poignée de riz avec un peu de sel.
Il arrête de parler et me dit : « je suis content de te voir. Tu es la première francophone que je rencontre à Yellowknife. » Lors de l’entrevue, il célébrait son neuvième anniversaire de vie dans le Nord. « Yellowknife, c’est le calme et la tranquillité. J’aime marcher. Mais il fait très froid. Vraiment très froid ici ! », avoue M. Phung, en ajoutant qu’il compte y demeurer jusqu’à la fin de ses jours et continuer de faire sa révision hebdomadaire en lisant L’Aquilon. « J’ai besoin de lire pour révision ! », me lance-t-il en riant.
Lui et sa femme discutent entre eux, elle souhaite me dire quelque chose. « Ce que j’aime ici : la liberté ! » Et son mari de renchérir : la liberté et de bons soins de santé. Liberté et santé, deux mots que nous prenons pour acquis ici, et dont la famille Phung connaît la valeur.