le Dimanche 4 mai 2025
le Vendredi 12 avril 2002 0:00 | mis à jour le 20 mars 2025 10:35 Société

Chasse gardée Entretien avec David Suzuki

Chasse gardée Entretien avec David Suzuki
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L’image que renvoient les médias des personnages publics est le reflet du spectaculaire. L’angle de l’information est la facette d’un prisme qui en cache beaucoup d’autres. Quand l’Aquilon lui demande qui il est, avec l’intention de découvrir qui se cache derrière ces yeux bridés fortement médiatisés, l’homme fort de l’environ-nement se rétracte, acerbe. « Que voulez-vous savoir ? Je suis un père, un scientifique… » Ces fans n’en sauront pas plus que le long défilé des honneurs qui parsèment son parcours, imprimé sur la jaquette de ses livres. David Suzuki balbutie, puis déclare de but en blanc : « J’ai des choses à dire et si ça ne vous intéresse pas, alors je m’en fous. »

Mal lui en prit, ces auditeurs, lecteurs et fans ne s’en foutent pas. Sa vingtaine d’années devant la caméra de CBC, à expliquer The Nature of Things à des milliers de Canadiens, l’ont mis sur la sellette. Ses trente-deux ouvrages littéraires spécialisés en environnement l’ont mis à l’avant-plan. Son nom accolé à des disques, des cassettes, des films, des articles de journaux n’en font pas un persona non grata. Ça, ses fans le savent. Peut-être même trop. Quand l’Aquilon a voulu savoir s’il préférait que ses admirateurs se fassent une idée de lui à partir de son image médiatique, David Suzuki s’est contenté de se taire, attendant la prochaine question.

« Croyez-vous parfois qu’il vaut mieux rire des problèmes environnementaux plutôt que d’en pleurer ? » Un sourcil se lève, sa bouche réprime un sarcasme. « Les environnemen-talistes doivent avoir le sens de l’humour parce que le combat dans lequel ils sont impliqués est très déprimant. » Discutant du problème de l’arsenic à Yellowknife, le docteur et scientifique avoue ne pas trop savoir quoi penser du sujet. Peut-il en rire ? « La seule façon de recouvrer ma santé d’esprit est de retourner dans la nature. La nature est la source de ma paix, c’est ce qui m’inspire, c’est ma pierre de touche. » Indirecte-ment, il se livre un peu, ajoutant qu’il préfère une prise de conscience à l’ironie.

Une demande qui n’est pas passée inaperçue lors de la conférence Un monde en changement, qui s’est tenue à Yellowknife du 7 au 12 avril. Charismatique et vulgarisatrice, la tête d’affiche de l’événement s’est exprimée aux 300 délégués empruntant le dernier détour de l’adolescence, public fétiche d’un maître de l’art oratoire qui a consacré la moitié de son œuvre littéraire aux enfants et adolescents. « Nous sommes la terre, nous sommes l’environ-nement, a-t-il mentionné. Nous nous croyons intelligents. Quelle intelligence trans-formerait l’eau pour en faire un produit chimique ? » Un verre d’eau au bout du bras, appuyant du geste son discours, David Suzuki a livré du déjà-vu, mais même les plus critiques ne peuvent l’accuser de déclamation. Il est logique, direct, convaincant.

« Il y a un premier ministre ici (aux T.N.-O.) qui me semble très pro-développement. Je ne sais pas s’il a encore des traditions. » Celui qui décrit le président des États-Unis, Georges W. Bush, comme un « stupid white man », du titre d’un livre de l’auteur américain Michael Moore, n’est pas plus tendre envers le gouvernement d’ici. Il fait longuement l’éloge du savoir traditionnel des Autochtones, examine les visiteurs venant du sud du pays. « Les gens du Sud débarquent ici et apportent leurs valeurs. Ils regardent le Nord et disent : c’est un territoire plutôt hostile. » L’économie passe aussi dans le moulinet à critiques. « C’est une forme de lésion cérébrale. L’environnement ne fait pas partie de la science économique, selon les économistes. Ce qu’il faut se demander c’est : quel est le prix de la nature ? Combien ça coûterait pour remplacer la nature ? »

Politique, réchauffe-ment planétaire, nouvelles technologies, protocole de Kyoto, maladies… Le scientifique aux cheveux blancs en a vu beaucoup en 66 ans et relève le défi du coq-à-l’âne sans perdre son auditoire. Les « super espèces », nouvelle appellation de l’être humain inventée par Suzuki, à l’âge où ils sont les rois de la consom-mation et les esclaves de la mode, ne sont pas passées à côté du discours, bombardant le Japonais d’origine de questions sur la génétique et la pollution. « Quel conseil nous donneriez-vous pour changer l’état de l’environnement ? », demande une jeune fille. « Dites à vos parents que vous êtes inquiets pour le futur et demandez-leur ce qu’ils font pour ça. »