En arrivant aux Territoires du Nord-Ouest, le père Pochat s’est plongé dans la culture dogrib.
Au moment de notre rencontre, le père Pochat, de Rae, sortait d’une célébration-marathon de deux heures trente minutes. Il grignotait du caribou séché et un bout de fromage avant de passer à sa prochaine célébration, des funérailles. Entre temps, quelques téléphones pour s’informer de l’état de santé de quelques paroissiens malades.
Le père Pochat est le célébrant de quatre communautés dogribs : Rae-Edzo, Wekweti, Gameti et Wha Ti. Souvent, il se rend à ce qu’il appelle « l’aéroport international de Rae-Edzo » pour voyager vers ces communautés. Avec ses passions pour la photographie, la lecture, la musique et son implication dans le programme de leadership de l’Arctique de l’Ouest du Collège Aurora de Fort Smith, M. Pochat admet ne pas avoir beaucoup de temps pour dormir.
En plus de toutes ces activités, jusqu’à tout récemment, celui-ci a représenté l’Église dans l’affaire Grollier Hall. « Je travaillais là-dessus depuis près de trois ans. Il y a quatre superviseurs qui ont abusé des enfants. L’Église était responsable, puisque la maison leur appartenait. Je l’ai donc représentée pour une démarche hors-cours. Il y a des dommages qui ont été faits, donc il y avait droit de réparation en justice. Il n’y a pas de guérison s’il n’y a pas d’abord de justice », de croire celui qui est venu d’Europe, par bateau, au début des années 1950.
Après avoir traversé l’Atlantique, le père Pochat s’est retrouvé à Fort McMurray, au nord de l’Alberta, pendant un an. « Je ne parlais ni anglais, ni français, ni allemand, ni rien du tout. J’ai tout oublié pendant le voyage », dit-il en riant, faisant référence à la tempête que son navire a dû affronter durant la traversée d’une dizaine de jours.
C’est le 9 juin 1955, « à 16 h 30 », que le père Pochat est arrivé à Fort Smith, aux Territoires du Nord-Ouest. Pendant un mois et demi, il travaille sur un bateau qui fait la navette de Fort Smith à Tuktoyaktuk. « Je nettoyais le pont, rangeais les cordes, je déchargeais les ravitaillements, ces choses-là. Ensuite, je suis venu à Fort Rae », se souvient-il. À l’époque, on y retrouvait douze personnes. Aujourd’hui, Raeest devenu un village d’environ 2000 âmes.
Le défi à surmonter : apprendre la langue dogrib. « Je me rappelle qu’après avoir passé un mois ici, mes compagnons étaient repartis et j’étais maintenant seul. On est venu me chercher pour aller visiter une personne âgée qui se mourrait. J’étais dans la maison, il y avait plein de monde qui serraient la main du mourant. Quand est venu mon tour, il m’a dit :
-Ah, c’est toi le jeune prêtre! Apprends la langue et les gens s’occuperont de toi.
J’ai dit :
-Yes sir!
« Je n’avais rien à l’époque pour m’aider dans mon apprentissage. Pas d’enregistreuse, pas de micro, pas de dictionnaire, pas de papier, pas de grammaire, rien du tout! J’ai vécu dans les tentes pendant cinq ans et c’est venu … Ça entre ou tu t’en vas! », dit-il.
Quelques années plus tard, l’évêque demande au Père Pochat d’aller enseigner à Fort Smith, où le collège Grandin venait d’ouvrir. « Tous les leaders d’aujourd’hui y ont étudié. À l’époque, il n’y avait aucune école secondaire pour les Dénés. Il y avait eu le rapport Moore, en 1946, qui disait que les Dénés n’avaient pas les capacités intellectuelles pour aller plus loin que la 9e année. Nous les amenions jusqu’à la 12e année. J’ai eu environ 500 élèves », estime-t-il. Aujourd’hui, lorsqu’il rencontre un de ses anciens élèves, « on va tout simplement prendre une tasse de café! », lance-t-il.
Après 15 années à Fort Smith, le père Pochat retourne à Rae. C’est avec beaucoup d’intérêt qu’il a suivi l’épopée des revendications territoriales. Celui-ci voit ce processus du bon œil, « Le plus tôt ils seront indépendants, le mieux ce sera. Ils recherchent leur indépendance, être chez-eux, avec leur langue, leur culture », clame-t-il, comparant cette situation avec celle des Québécois.
Alors que partout au pays, on ferme des églises, aux Territoires du Nord-Ouest, on en rénove et on en construit. « On ne peut pas comparer deux peuples et deux pays. Dans ma culture, dans mon pays, il n’y a plus aucun signe de religion dans les grandes villes comme Marseilles, Lyon ou Genèves. Le Déné est spirituel. Je ne dis pas qu’il va à la messe, c’est autre chose, mais il est spirituel au départ », d’affirmer le prêtre qui a vu le passage de la vie nomade à la vie sédentaire, « avec ses avantages et ses inconvénients ».
« Dans la vie nomade, la famille étendue, la grande famille, est responsable de la vie sociale, de la vie religieuse, de l’économie. Les enfants sont élevés par la grande famille, donc non seulement les parents, mais les grands-parents, les oncles, les tantes. La vie était paisible, beaucoup plus simple, sans argent liquide, c’était avant tout les fourrures, la chasse et la pêche. Les problèmes sociaux étaient réglés parce que c’était à petite échelle. C’était une vie saine, près de la nature », se souvient le Père Pochat.
« Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Il n’y a plus une fille qui va aller laver son linge avec une planche à laver », d’analyser le religieux. Selon lui, la vie actuelle, comporte aussi ses avantages. Il fait remarquer que les Dénés jouissent maintenant d’une économie solide et qu’ils sont les propriétaires de leur maison. «Ils sont fiers de ce qu’ils ont gagné en travaillant. Ils voyagent, vont prendre leurs vacances en Alberta, vont magasiner à Yellowknife et on accès à l’éducation jusqu’au Collège et à l’Université », constate-t-il.
Le repas du Père Pochat est terminé. Une conclusion à l’entretien? «La vie est belle! Les gens sont sympathiques ici. Il faut parler leur langue et connaître la culture, mais une fois que l’on est dans le système, c’est sympathique. C’est un peuple joyeux, heureux et plein d’humour ». Des plans, des projets ? «Continuer, mon gars!», de lancer le prêtre.