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le Vendredi 16 août 2002 0:00 | mis à jour le 20 mars 2025 10:35 Société

La bonne mine Un homme d’honneur

La bonne mine Un homme d’honneur
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Pour Luc Normandin, les mineurs vivent en microsociété selon un rituel et un code d’honneur particulier à ce corps de métier.

Au moment de cette rencontre, dans la cuisine familiale, Luc Normandin tient sa petite fille dans ses bras. À peine une semaine auparavant, 20 mineurs ont péri dans un accident en Ukraine. Quelques heures plus tôt, ce sont neuf mineurs qui ont revu le jour après 72 heures d’enfer sous terre en Pennsylvanie. De but en blanc, le mineur de la mine Con se fait demander comment il s’est senti à l’annonce de ces évènements. “ J’ai entendu ça le matin même, dans la cage en descendant. Quand tu entends des choses comme ça, tu prends une bonne respiration et tu te dis qu’il va falloir que tu fasses plus attention. ” Le père de deux adolescentes et d’une fillette de quatre ans jette un coup d’œil à sa petite dernière qui s’endort. “ Reste ici et écoute papa parler de la mine. ”

Quand il est arrivé à Yellowknife, en 1980, Luc Normandin a travaillé sur la terre ferme et côtoyé les habitants de la capitale. Après son embauche à la mine Giant en 1988, il n’a plus jamais vu que les mineurs qui arpentent le sous-sol des heures durant à la recherche d’or. “ Ce qui m’a poussé à travailler dans les mines, c’était la sécurité, les bénéfices. C’est important quand tu as une petite famille. ” Dirait-il la même chose aujourd’hui ? L’homme de 42 ans hésite, puis ajoute : “ La mine m’a beaucoup aidé. Puisque j’ai la garde de ma fille, je n’ai pas à travailler de nuit. ” Un privilège qu’il sait rare. Sans ce petit passe-droit, il aurait quitté son emploi.

Le menuisier de formation, originaire du Québec, montre ses mains blanches, dont l’irrigation par le sang fait défaut à cause des vibrations de la perceuse. Chanceux ou prudent, le membre de l’équipe de sauvetage, qui a “ toujours été le gars qui va chercher le monde ”, doute parfois de lui-même ou de la sécurité des souterrains. “ Tu te demande tout le temps : Si un accident m’arrive, comment je m’en sors ? ”

L’anecdote fait surface. Il y a quelques années, à la mine Giant, ses deux lumières de casque grillent. Sans éclairage, les galeries sont noires comme du charbon. Il a sous la main un briquet, mais le gaz brûle vite. Personne en vue, il s’assoit par terre et attend. C’est en regardant sa montre qu’il a pu retrouver son chemin, grâce à sa lumière bleutée née de la technologie Indiglo. Depuis, la devise commerciale ne partez jamais sans elle lui colle à la peau.

Un rituel réglé au quart de tour

Luc Normandin a une façon toute particulière de décrire ce concept qui ne connaît ni soleil ni lune pour se définir. C’est au nombre de trous dans la roche que les mineurs savent quelle heure il est. “ Quand je drillais 32 trous, je savais, à moins d’un problème, qu’il était une heure et demie du matin ”, décrira celui qui voit son travail comme un rituel. Côté système d’organisation, les mineurs ont un code d’honneur basé sur l’entraide et le respect. “ Tu descends ensemble, tu remontes ensemble ”, explique brièvement Luc, qui, selon ce code, ira vérifier les souterrains si quelqu’un manque à l’appel à la fin du quart de travail. D’emblée, Luc Normandin admet que la mine est une microsociété. “ Je travaillais au 1500 (1500 pieds) à la mine Giant et on était douze gars. C’était les seules personnes que je voyais. Maintenant, quand je vais dans une galerie, il y a peut-être deux ou trois gars. On se respecte énormément. ”

Pour un mineur, la santé de l’industrie prend des proportions toutes particulières car l’assurance du gagne-pain fluctue avec les réserves et le prix de l’or. Même si celui-ci est en croissance depuis un an, les courbes graphiques n’ont pas toujours atteint des sommets. Luc Normandin croit que les mines d’or à Yellowknife resteront en activité encore une vingtaine d’années. “ Il ne reste qu’environ 40 personnes qui travaillent à Giant et je crois bien que la même chose va arriver à Con dans une année ou deux. ” Le sous-sol de la ville, grugé par les tunnels qui vont jusqu’à 6100 pieds de profondeur, sur des kilomètres de longueur, pourrait ne plus fournir de l’or en quantité. Mince consolation, Luc mentionne que certaines mines fermées du Québec se sont transformées en industrie champignonniste.

Pour l’instant, les seules prédictions qui occupent les pensées de Luc sont les prochains mois où peut-être décidera-t-il de retourner au Québec pour un an. Il se lève et va coucher sa fille dans son lit. La journée commence tôt pour un mineur.