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le Vendredi 15 novembre 2002 0:00 | mis à jour le 20 mars 2025 10:35 Société

Oblats de Marie-Immaculée « Ils ont aidé, mais aussi blessé »

Oblats de Marie-Immaculée « Ils ont aidé, mais aussi blessé »
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L’histoire des missionnaires oblats des Territoires du Nord-Ouest est sur pellicule.

La documentariste et journaliste Susan Cardinal caressait un projet depuis plusieurs années. Avec sa caméra, elle voulait retracer l’histoire des Oblats de Marie-Immaculée et donner un contexte de l’évolution de la mission des Oblats dans le Nord. Le résultat : un documentaire de près de deux heures intitulé « God’s Explorers ».

C’est en préparant une série de reportages sur la création du Nunavut pour la radio de CBC, au milieu des années 1990, que l’étincelle a jailli dans l’esprit de Mme Cardinal. « Je voulais comprendre d’où ils venaient et le rôle historique qu’ils ont eu dans le Nord. Ils avaient une mission qui était d’aller rejoindre et d’aider les pauvres, mais ils ont aussi apporté beaucoup de bagages européens avec eux », soulève-t-elle.

« Une conspiration des forces de l’histoire a fait en sorte que, lorsque les maladies ont frappé le Nord dans les années 1890 et 1918, il y avait tant de besoin que beaucoup d’Autochtones en sont venus au point d’établir de petites communautés et c’est là que les institutions sont entrées en ligne de compte », d’expliquer Mme Cardinal.

Des institutions qui, selon le missionnaire René Fumoleau, ne cadraient pas dans la culture autochtone. « Au début, les Dénés ont été très réceptifs. Ensuite, quand on a commencé à prêcher sur les différentes institutions établies par l’Église catholique, ou anglicane, elles semblaient tout à fait en dehors du contexte déné. Ces institutions, cadres ou systèmes, avaient été inventés en Europe ou en Asie, et ne correspondaient pas du tout à ce que les gens vivaient ici, si bien que les Dénés ont eu beaucoup de difficultés à comprendre ces institutions », d’analyser le missionnaire arrivé à Fort Good Hope en 1953.

René Fumoleau a regardé le documentaire de Mme Cardinal à deux reprises. Celui-ci apprécie la rigueur que Mme Cardinal a démontré pour sa recherche historique. « Mme Cardinal a passé énormément de temps à essayer de trouver l’histoire. En plus de fouiller des documents écrits, elle a interviewé un tas de gens sur le sujet », dit-il. En fait, le travail de Susan Cardinal pour la conception de « God’s Explorer » est échelonné sur cinq ans. « Je suis certaine que ça a pris au moins 18 mois de travail », évalue-t-elle.

Bien entendu, le délicat sujet des pensionnats est relaté par Mme Cardinal. « C’est probablement l’un des secteurs les plus sensibles que j’ai dû aborder. Chaque personne en a fait l’expérience d’une manière personnelle. J’ai parlé avec des gens qui ont fait partie du système et aussi à des pères. Beaucoup d’oblats n’ont pas travaillé dans les pensionnats du tout, mais ce qui s’est passé dans ces écoles a affecté tout le monde. J’ai abordé le sujet avec une position de respect. Ce sont des histoires difficiles à partager et je voulais entendre et comprendre. Ultimement, le téléspectateur sera le juge sur la manière dont le sujet est traité », dit-elle.

La journaliste se défend cependant d’avoir voulu faire un reportage sur l’histoire des pensionnats dans les Territoires du Nord-Ouest. « Mais ça a évidemment dominé l’histoire des oblats et ça les hante encore aujourd’hui, même si les pensionnats sont fermés depuis plusieurs années », explique-t-elle.

Avec de moins en moins de ressources humaines pour les missions dans le Nord, et partout ailleurs au pays, Susan Cardinal tente de dresser un portrait de ce que pourrait être l’avenir des Oblats de Marie-Immaculée. « Je pourrais facilement imaginer l’Église catholique disparaître, en ce sens que l’évêque Croteau m’a dit, lorsque je faisais le reportage, que ça revenait aux gens. C’est difficile, pour une petite communauté de garder une église en action. Ils ont besoin d’un leadership », dit-elle.

Édouard Prince est l’un des rares missionnaires oblats encore actifs aux Territoires du Nord-Ouest. Basé à Lutsel K’e, il constate bien les changements qui se produisent dans les pratiques religieuses. « Dans le passé, c’était l’Église hiérarchique qui était en importance. Depuis 10 ou 15 ans, on voit des changements en ce sens que ce sont les gens qui se prennent en main. Si les gens, petit à petit, apprennent la Bonne Nouvelle, nous n’aurons pas à nous inquiéter pour l’avenir de la relation qu’ils ont avec Dieu », dit-il.

Dans son travail, Mme Cardinal reconnaît aussi les bienfaits de la venue des oblats dans le Nord. Ce qui l’a marquée, c’est le déchirement vécu par tous. « Ils ont aidé, ils ont construit des hôpitaux, des orphelinats, des écoles et les oblats sont virtuellement devenus le gouvernement jusqu’aux années 1960. Donc, les oblats ont aidé, mais ont aussi blessé. Les prêtres seraient peut-être en désaccord avec moi, mais je pense qu’au cours de l’histoire, ils ont perdu le but premier de leur mission », analyse-t-elle.

« God’s Explorers » a déjà été diffusé sur « History TV Channel » en janvier dernier. Il a aussi eu du temps d’antenne sur des stations provinciales de l’Alberta et de la Saskatchewan. Le documentaire devrait aussi être sur les ondes du « Knowledge Network » de la Colombie-Britannique, sur APTN et sur Historia, le canal francophone portant sur l’histoire. Mme Cardinal n’était cependant pas en mesure d’annoncer des dates définitives de diffusion. Il est aussi possible de visionner le documentaire aux archives du Centre du patrimoine septentrional Prince-de-Galles.