Derrière son sourire éblouissant, Jean de Dieu Tuyishime cache un drame immense, celui de toute une décennie.
Né au Rwanda où il étudie et pratique la médecine, Jean de Dieu a connu l’innommable. « Le Rwanda, commente-t-il timidement, est un petit pays d’Afrique centrale tristement célèbre pour la guerre civile qui s’y est passé en 1994. » Célèbre, ça oui. Huit cent mille morts en une centaine de jours, ça fait jaser.
C’est dans ce contexte d’horreurs que naît le plus vieux de ses fils, Elton-cliff,.dont le portrait trône fièrement sur son petit bureau de la maison Laurent Leroux, juste à côté de celui de Rod-Bryan, son autre garçon, et d’Angélique, son épouse.
Après la guerre, Jean de Dieu continue de pratiquer la médecine dans le pays des milles collines. À Kigali, la capitale, il est aussi coordonnateur des services de santé. « J’ai travaillé dans des camps de réfugiés. J’ai travaillé dans des situations d’urgence, si vous voulez. », raconte-t-il le regard ailleurs.
Médecin au Canada
En 1997, il immigre au Canada avec sa petite famille. Il pense pouvoir continuer d’exercer son métier ici, mais la réalité est plus complexe que ce qu’il imaginait.
Pour pouvoir pratiquer au Canada, il doit passer une batterie de tests, faire un stage de deux ans puis passer à nouveau un examen. Le processus le décourage. « C’est long et c’est beaucoup d’argent. J’ai essayé. J’ai passé le premier test, mais le temps d’avoir l’argent pour pouvoir passer le second et le troisième ça peux prendre de cinq à dix ans. […]Franchement, le système n’aide pas les médecins qui sont formés à l’extérieur à pratiquer ici. »
Avec des normes aussi pointues, le Canada, se prive d’excellent docteurs, estime-t-il. « Nous avons besoin de ces professionnels de santé qualifiés, dit-il, alors pourquoi ne pas investir pour leur donner une formation ? Une formation qui, en définitive, ne devrait pas être une grande formation étant donné que nous sommes déjà formés. Ce serait plutôt une sorte d’accompagnement pour que l’on s’habitue au système d’ici. […] Je connais plus de 200 médecins à Montréal qui ont passé les tests, qui ont fini tous les examens et qui n’ont pas d’hôpitaux où exercer. »
En milieu francophone minoritaire, ajoute-t-il, le protectionnisme canadien est encore plus aberrant. La nécessité de professionnels de la santé pouvant s’exprimer en français est très grande, et pourtant on fait la fine bouche avec les médecins francophones venus d’ailleurs – du Rwanda par exemple.
Dans le Nord
C’est donc en tant que coordonnateur du Réseau TNO santé en français que Jean de Dieu a atterri à Yellowknife, il y a tout juste deux semaines. Entré de plain pied dans la communauté franco-ténoise, déjà son nouveau travaille l’accapare.
Dès sa première semaine de travail, il rencontrait le sous-ministre de la santé des TNO, Dave Murray. « Nous allons démarrer un projet qui se nomme “Préparer le terrain”, raconte-t-il enthousiaste. C’est un grand projet qui se fait au niveau national et qui devra se faire en partenariat avec le gouvernement territorial. Nous allons chercher à connaître les besoins en matière de santé primaire pour la communauté francophone, connaître ce qu’il existe et ce que l’on peut apporter. Et à la fin, nous établirons un plan de travail qui sera efficace pour que l’on puisse fournir des services à la communauté francophone. »
Pour celui qui détient un diplôme de maîtrise en santé communautaire, la santé ne doit pas se résumer à une chose clinique. La prévention, pense-t-il, est très importante et il compte mettre un accent particulier sur cet aspect de la santé dans le cadre de son nouvel emploi. « La prévention, assure-t-il, soulage l’aval que sont les soins curatifs, les médecins, les infirmières, les centres de réhabilitation. S’il n’y a pas de personnes blessées pour aller dans les urgences, les urgences seront libres. »
Avant de travailler pour les francos des Territoires du Nord-Ouest, Jean de Dieu aidait la réinsertion sociale des victimes d’accident cérébro-vasculaires à Letherbrige, dans le sud de l’Alberta. Cette expérience lui a été très enrichissante. « Il y a beaucoup de choses que l’on apprend en côtoyant ces gens, dit-il. On comprend qu’il y a des groupes qui ne sont pas très acceptés et les aider à réintégrer la société c’est quand même impressionnant et éducatif aussi. »
Et le Rwanda dans tout ça ? « Tu sais, ose-t-il enfin en guise de réponse, travailler dans des temps de guerre, en plus dans un pays pauvre, en plus ravagé par toutes sortes de pandémies à savoir, le SIDA et le paludisme, c’est trop. Si bien que moi, en bref, je dis que je suis dans le Paradis. Être au Canada, pour moi, c’est le Paradis. »