le Mardi 6 mai 2025
le Vendredi 22 juillet 2005 0:00 | mis à jour le 20 mars 2025 10:36 Société

Barbouillez la pub,laissez l’art en paix.

Barbouillez la pub,laissez l’art en paix.
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Étant donné que votre Aquilon déborde déjà de culture et de joie, je me permets d’usurper l’espace réservé aux Arts pour dire deux mots aux petits malins qui ont défiguré la murale du parc Somba’a Ke de Yellowknife.

Chers vandales, je n’ai rien contre les gribouillages publics et les graffitis. Je suis même plutôt favorable. Dès que l’occasion se présente, j’agrippe mon feutre noir et griffonne, au vu et au su des passants, les panneaux publicitaires agressants et le béton qui rend con.

Il s’agit d’un acte de désobéissance civile et de réappropriation de l’espace public qui permet à tout le monde de s’affirmer en tant qu’individu unique et libre. C’est une chose essentielle.

Même les gribouillis obscènes qui ornent les toilettes de certains bars de la 50e rue ne me déplaisent pas. Tous ces petits haïkus décrivant, ici, la stature légendaire du membre viril d’untel ou, là, la qualité exceptionnelle des caresses bucco-génitales prodiguées par unetelle sont, je le crois, l’expression d’une certaine forme d’art ingrate et instantanée, des dazibaos populaires d’inspiration éthylique.

C’est d’ailleurs dans cet esprit que j’ai vertement critiqué, sur les ondes de Radio Taïga, l’hiver dernier, l’arrestation scabreuse du stencil artist montréalais Roadsworth, accusé de méfait pour avoir habilement transformé un passage clouté en trace de pas géante. Qu’on se le dise : les graffiteurs sont des bienfaiteurs paysagers. Ils mettent un peu de soleil dans le décor morne des villes.

Mais quand des artistes peintres, comme Carla Giladay et Élÿse Parchoma qui ont réalisé la murale du parc, empruntent la voie légale pour arriver à ces mêmes fins, le résultat est bien plus efficace. Ce ne sont pas des pavés qu’ils enjolivent ; ce sont des murs entiers.

Un peu partout, au centre-ville de Yellowknife, Diane Boudreau, Jennifer Walden et les autres maquillent la laideur du béton et la remplacent par des œuvres aussi réjouissantes que nécessaires, des pans entiers de beauté. De grâce, laissez ces murs-là tranquilles ! Ils ont eu leur compte.

Le rictus insolant que vous avez dessiné sur cette murale aurait été superbe sur un réservoir de propane ou sur une rampe du parc de planche à roulette. Le parc, lui, a déjà son morceau de bonheur, planté là, sur la scène surplombant joyeusement le sentier du lac Frame. Aujourd’hui, votre sourire me donne envie de pleurer.

Dans quelques mois, qu’on le veuille ou non, des élections seront enclenchées et toutes les routes seront bientôt tapissées de faciès repoussants et de réclames partisanes. J’espère sincèrement qu’à ce moment vous ressortirez vos bombes aérosols pour affirmer, dans toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, que ce n’est pas en enlaidissant le paysage que les politiciens obtiendront nos votes.

D’ici-là, barbouillez la pub et le ciment tant que vous voulez, mais laissez les murales comme elles le sont : merveilleuses.