Rassemblés autour d’une cafetière qu’ils ne finissent plus de vider et de remplir, coin Forrest Drive et Franklin Avenue, les artisans de la CBC en poste à Yellowknife gardent le moral. Fardés de pancartes à l’effigie de leur syndicat, ils vont et viennent autour du bâtiment qui abrite les studios de Radio-Canada.
Comme chacun des 5500 employés de la société d’État oeuvrant ailleurs qu’au Québec où à Moncton, ils sont en arrêt forcé de travail. Les négociations de la première convention collective de l’histoire de la CBC à regrouper dans un même document les réalisateurs, les journalistes et les techniciens n’ont pas abouti et, le 15 août, leur employeur les a mis en lock-out.
Aux TNO, ce sont quelque 70 employés de CBC North que le conflit de travail affecte.
Sur les lignes de piquetage, le journaliste Lee Sellick est volubile. « Les gens s’imaginent que nous voulons des augmentations de salaire. Ce n’est pas du tout ça ! Enfin, je ne dirais pas non à une augmentation, mais le fait est que c’est d’abord pour régulariser la situation des précaires que nous nous trouvons à l’extérieur de nos bureaux. »
Sur son site Internet, la Guilde canadienne, des médias qui représente les employés de CBC/Radio-Canada, fait grand cas de ce qu’elle nomme « le statut professionnel ». En effet, une frange croissante des employés de CBC, des jeunes surtout, travaillent à contrat et n’ont pas de permanence. Alors que la tradition veut que les emplois de la société d’État soient sécurisés après un an de loyaux services, le syndicat affirme que « la majorité » des employés temporaires de la CBC sont en poste depuis plus de douze mois.
La régulation des employés temporaires est la principale pierre d’achoppement des négociations. D’une part, le syndicat réclame des règles définies à ce chapitre ; de l’autre, l’employeur veut plus de flexibilité.
« Le monde change et nous devons changer aussi si nous souhaitons demeurer compétitifs et pouvoir continuer à offrir un service de télédiffusion que les Canadiens apprécient. Pour atteindre cet objectif, notre modèle d’emplois doit également évoluer », déclarait l’employeur, dans un communiqué émis immédiatement après l’annonce du lock-out.
Sellick estime qu’en déclarant qu’elle recherche une plus grande flexibilité, la CBC cherche surtout à contrôler plus étroitement ses employés. « Ils veulent de la main d’œuvre jetable après usage », dit-il.
Le journaliste pense qu’en multipliant les emplois précaires, la CBC nuit à la qualité de l’information et brime de ce fait le public. « Nous apprenons des choses dans ce métier. Si les journalistes se font licencier ou transférer après quelques mois de travail, ils n’acquerront pas la maturité nécessaire à une information de qualité », explique-t-il. Il ajoute que l’on ne travaille pas aussi efficacement quand on a une épée de Damoclès qui nous pend au dessus de la tête.
Il trouve, en outre, que son employeur mésinforme le public en affirmant que le service de nouvelles est dérangé par une « interruption de travail », comme cela est écrit sur le site Web de CBC et répété à qui mieux mieux à la télé et à la radio publique. Selon le journaliste cette formulation n’explique pas assez clairement que c’est l’employeur qui a mis les travailleurs en arrêt. « Si je faisais un reportage sur le conflit, je ne dirais pas ça comme ça. »
Serrer la ceinture
Pour les employés en arrêt de travail, ce conflit, que les analystes en la matière prévoient déjà long, se traduit par une période de disette.
Normalement, les employés devraient recevoir leur dernier chèque de paie le 1er septembre. Après quoi, ils seront rationnés au budget de grève. Questionné à savoir ce que représentait un chèque de grève, Sellick n’a pas spécifié de montant. Son collègue caméraman qui, jusque là, suivait la conversation sans prononcer un mot, a été un peu plus précis : « Ce n’est pas suffisant pour vivre à Yellowknife ! »
Sur le site Internet de la Guilde canadienne des médias, on parle de 200 à 300 dollars par semaine.
Changements à l’horaire
Pour le public, le conflit de travail signifie la fin de l’information locale. Quand on tente d’accéder au site Internet de CBC North, on est automatiquement redirigé vers le site national.
Tant à la télé qu’à la radio, les bulletins de nouvelles nationaux ont été remplacés par des émissions d’actualité en provenance de la BBC, la chaîne publique britannique. Toutes les émissions d’informations produites dans le Nord sont également retirées de la programmation.
En français, ce sont les nouvelles régionales produites par les bureaux de Radio-Canada à l’extérieur du Québec qui écopent. Les bulletins de nouvelles normalement produits par ces stations sont momentanément remplacés par les nouvelles de Montréal. Aux TNO, d’aucuns argumenteront toutefois que cela ne change pas grand chose étant donné que Radio-Canada n’a pas de station dans le Nord et que, d’aussi longtemps que la télévision francophone est disponible ici, ça a toujours été le signal montréalais qui a été retransmis.