Fillettes qui se prostituent pour une dose, logements sociaux transformés en fumeries de crack, bandes de jeunes qui tabassent les ivrognes à la sortie des bars : le portrait que brosse le rapport Yellowknife Safe Community Initiative de notre capitale fait froid dans le dos.
Ce document commandé par la ville de Yellowknife en 2005 se fonde d’abord sur des dizaines d’entrevues conduites auprès d’hommes et de femmes de la rue, de toxicomanes, de dealers et de détenus. C’est une véritable histoire orale de la criminalité ordinaire de Yellowknife qu’on a rendue publique mardi dernier.
D’un point de vue purement statistique, le problème de la criminalité est indéniable aux Territoires du Nord-Ouest. En 2004, à Yellowknife, on a recensé un peu plus d’un crime pour trois résidents. C’est un taux de criminalité quatre fois supérieur à la moyenne nationale – mais quand même inférieur à la moyenne territoriale qui se situe, elle, à un crime pour deux résidents. Les auteurs du rapport notent aussi que la criminalité a fait des bons prodigieux ces dernières années. Ainsi, peut-on lire, « en 2003, plus d’accusations criminelles ont été portées à Yellowknife que durant les 18 années précédentes ».
Soulignons cependant que ces statistiques ne concernent que les crimes pour lesquels des accusations ont été portées par les autorités policières. On peut certainement supposer que d’autres crimes non rapportés ont lieu. On pourrait également suggérer que le taux de criminalité plus élevé des TNO signifie que nos voyous se font davantage pincer, que ceux du reste du Canada.
L’alcool et la drogue : les vecteurs du crime
Les auteurs du rapport établissent un lien direct entre l’assuétude à l’alcool et à la drogue (surtout le crack) et la criminalité à Yellowknife.
Les toxicos, écrivent-ils en substance, commentent des crimes parce qu’ils ont besoin d’argent pour assouvir leurs vices. « Presque tous les détenus interrogés pour cette recherche ont commis des crimes alors qu’ils étaient sous l’influence de la drogue ou de l’alcool, ou dans l’objectif de trouver de l’argent afin de se procurer de la drogue ou de l’alcool », écrivent les auteurs.
« Fais-moi confiance, on trouve toujours l’argent pour soutenir cette habitude-là », affirme un itinérant dépendant à l’alcool, au crack et à la marijuana cité dans le rapport. L’alcool est la substance de prédilection des toxicos de Yellowknife. On peut s’en procurer légalement dans les magasins d’alcool, dans les bars et restaurants (29 établissements dans un rayon de quatre rues autour de l’axe 50e rue et 50e avenue servent à boire), de même que dans les pharmacies et autres dépanneurs où on le retrouve sous forme de gargarisant et de fixatif à cheveux. Le rapport évoque d’ailleurs plusieurs fois des cas de dépendance spécifique au fixatif à cheveux. La seconde substance la plus populaire est le crack, qui aurait fait son apparition dans les ruelles de Yellowknife il y a cinq ou six ans. La plupart des témoignages recueillis dans le rapport évoquent à quel point il est facile de s’en procurer au centre-ville.
« J’aurais jamais pensé que ça pouvait être aussi pire que ça pour une petite ville », affirme un jeune junkie qui compare volontiers la 50e avenue avec Hasting Street, le célèbre repaire de drogués de Vancouver qu’il a lui-même fréquenté. « Tous mes amis sont dépendants… eux, et certaines personnes dont vous ne douteriez jamais. »
La dépendance au crack contribue à l’émergence de comportements liés à la déchéance. On parle d’un marché de prostitution infantile à ciel ouvert derrière le Gold Range. « J’ai vu des enfants de 12 ans gelés sur le crack se vendre », prétend une ex-vendeuse de drogue.
Un autre dealer qui opérait au bistro Right Spot raconte l’ambiance qui régnait dans cette fumerie notoire, qui a fermé ses portes en octobre 2005 suite à une opération policière. « Il y [avait] du sang partout sur les murs des toilettes à cause des gens qui se shootent », témoigne-t-il.
La drogue qu’on consomme dans le Nord est de mauvaise qualité. Le rapport affirme que le crack vendu à Yellowknife contient « entre 10 et 40 % » de cocaïne.
Itinérance, exclusion et racisme
À Yellowknife les personnes les plus associées à la criminalité sont souvent les personnes les plus pauvres. Nombre de toxicomanes sont itinérants et, parmi eux, les femmes et les mineurs sont en majorité.
Ces personnes sont aussi majoritairement d’origines autochtones. Tout comme dans la population « blanche », la plupart des itinérants autochtones ne sont pas natifs de Yellowknife. Ils viennent en majorité d’autres communautés des TNO, du Nunavut ou parfois du Sud. Ils viennent ici afin d’échapper à la violence de leur communauté natale ou dans la perspective de profiter des opportunités de la ville : éducation, emplois, services sociaux, etc.
Mais à leur arrivée, ils déchantent rapidement en constatant l’exclusion dont ils sont victimes à cause de leur origine ethnique ou de leur manque d’éducation. Certains itinérants affirment vivre dans la rue parce qu’on ne veut pas louer d’appartement à un Indien.
Exclus par leurs origines, par manque d’éducation ou en raison de leur passé criminel, ils n’arrivent pas à se trouver d’emplois et sont incapables de payer un loyer qui dépasse souvent les 1000 $ par mois. Une femme métisse de 40 ans qui vit dans un logement social qu’elle arrive à peine à payer affirme avoir cessé de vendre du crack parce qu’elle veut conserver la garde de ses enfants. Paradoxalement, elle raconte qu’elle dealait pour soutenir financièrement sa famille. « J’en avais besoin pour soutenir mes enfants. Vous savez, il y a des jours où je voudrais encore marcher dans la rue avec 1000 $ dans les poches […] Yellowknife est si chère. Ici, on choisit entre payer les factures et nourrir les petits. »
Un jeune de la rue de 17 ans, qui consomme du crack et de la marijuana, raconte avoir quitté sa communauté parce que sa mère buvait trop. Il se plaît à Yellowknife, mais il y a une chose qui le gêne : « ici, il y a des gens qui refusent de te parler ».
Une part importante des itinérants de Yellowknife souffre également de maladies mentales – entre autres du syndrome d’alcoolisation foetale – ou de traumatismes liés aux pensionnats indiens.
Une économie dopée
Le rapport trace aussi un lien entre la prospérité économique de Yellowknife et ses problèmes de crimes.
Les marchés parallèles profitent eux aussi du boom économique des diamants. « Plusieurs personnes dans le Nord luttent contre les dépendances à l’alcool, à la drogue et au jeu. Aujourd’hui ces personnes gagnent de gros salaires et sont périodiquement en congés pour plusieurs jours. Du coup, la drogue, l’alcool et le jeu leur sont rendus très accessibles, et ce spécialement à Yellowknife », relève le rapport.
« Je vois tous les gars qui arrivent des mines. Ils brûlent leur paye en deux jours », raconte pour sa part un ex-dealer de crack.
Le rapport note également que Yellowknife est la ville où les Canadiens les moins instruits gagnent les plus gros salaires. En 2002, le revenu familial moyen à Yellowknife s’élevait à 106 953 $, alors que seulement 45 % de la population active y possédait un diplôme d’études secondaires.
Pas de ressources
Si les défis liés de la criminalité peuvent sembler accablants, les ressources pour y faire face sont, elles, assez minces.
Il n’y a plus de centre de désintoxication à Yellowknife. Le seul établissement du genre aux TNO est situé à Hay River. Pour obtenir une place au Centre de traitements Nats’ejée K’éh, un toxicomane devra remplir un formulaire de 17 pages, qu’il trouvera en version unilingue anglaise sur le site Web de l’établissement (www.natsejeekeh.org), si bien sûr il a accès à Internet. En le remplissant notre toxicomane apprendra qu’il doit être sobre depuis une semaine pour être éligible et, le cas échéant, qu’il devra défrayer les frais de garde de ses enfants pour la durée du traitement.
Le gouvernement territorial paie également pour envoyer des toxicomanes en réhabilitation dans des centres de traitements situés dans les provinces du Sud. Il paie aussi 10 000 $ chaque mois en hypothèque et entretien pour le centre de traitements abandonné de Yellowknife, situé dans le secteur de Kam Lake.
En outre, en 2004, le gouvernement des TNO a empoché plus de 20,4 millions de dollars en taxes et permis d’alcool, mais n’a en revanche dépensé que 2,6 millions dans les programmes de lutte à l’alcoolisme.
Pour ce qui est de l’aide au logement, il existe peu de places pour accueillir les sans-abri de Yellowknife. L’Armée du salut offre des logements pour les hommes adultes. Le centre Side Door ouvre ses portes aux jeunes de la rue et les héberge durant la nuit et le Women Center héberge les femmes. Tous ses établissements sont cependant pleins à surcapacité.
Le Women Center qui loge en moyenne une trentaine de femmes chaque soir, a une capacité de 17 places.
On peut dire que la publication de ce rapport-choc arrive à point nommé : les citoyens de Yellowknife sont appelés aux urnes le 16 octobre, pour choisir un nouveau conseil municipal.