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le Vendredi 29 février 2008 0:00 | mis à jour le 8 mai 2025 11:55 Société

Le passage du Nord-Ouest: un enjeu de plus en plus urgent Entrevue avec Michael Byers

Le passage du Nord-Ouest: un enjeu de plus en plus urgent Entrevue avec Michael Byers
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En visite à Yellowknife le 21 février, l’expert en politique internationale, Michael Byers, a affirmé que le gouvernement du Canada devait revoir sa stratégie sur deux dossiers majeurs: la souveraineté de l’Arctique et la mission canadienne en Afghanistan.

Le professeur à l’Université de la Colombie-Britannique a abordé le premier enjeu lors d’un congrès de l’Association du Barreau canadien à l’hôtel Explorer en après-midi et s’est ensuite penché sur le conflit afghan lors d’une conférence publique en soirée à la bibliothèque de Yellowknife.

En entrevue avec L’Aquilon, M. Byers a réitéré que le gouvernement fédéral, en partenariat avec les autorités américaines, se devait d’agir vite dans le dossier du passage du Nord-Ouest en cette période de réchauffement planétaire. « Nous n’avons pas le temps d’attendre que la glace disparaisse. Nous avons perdu 1,2 million de kilomètres carrés dans l’océan Arctique entre septembre 2006 et septembre 2007. Il faut regarder les conséquences de ça. L’une d’elles est que beaucoup de navires étrangers vont arriver et ils vont arriver bientôt, dans les prochains 10, 20 ou 30 ans », a-t-il indiqué dans un excellent français.

Dans un contexte de menace terroriste, de prolifération nucléaire, d’immigration illégale ou de trafic de stupéfiants, M. Byers fait valoir que les autorités côtières des deux pays devront assurer un meilleur contrôle de la circulation maritime dans le passage du Nord-Ouest. « La navigation dans le Nord, ce n’est pas seulement l’affaire des Canadiens. Il y a aussi l’Alaska et les Américains n’ont presque rien sur place. Ils n’ont pas fait les choses nécessaires pour protéger cette région », a-t-il poursuivi.

L’expert insiste que les deux gouvernements doivent collaborer dans le futur et mettre en place un système de notification pour les bateaux étrangers. Il s’agit d’ailleurs d’une des huit recommandations qui sont ressorties d’une simulation de négociations entre des spécialistes canadiens et américains qui se sont rencontrés la semaine dernière à Ottawa pour discuter de cet enjeu nordique, une initiative de Michael Byers justement.

Était présent dans la délégation américaine l’ancien ambassadeur des États-Unis au Canada, Paul Cellucci, qui répète depuis longtemps l’urgence d’agir dans ce dossier. « Paul Cellucci a suggéré il y a trois ans que les États‑Unis revoient leur politique concernant le passage du Nord-Ouest et d’accepter la position canadienne [d’assurer la souveraineté]. Pour quelques raisons, le gouvernement canadien a décidé de ne pas utiliser la chance pour engager les Américains sur les possibilités diplomatiques », a confié M. Byers. C’est donc dans ce contexte de statu quo sur la question que le spécialiste canadien est entré en contact avec M. Cellucci pour mettre en place la simulation d’experts non gouvernementaux de la semaine dernière. M. Byers espère que les politiciens, autant canadiens qu’américains, jetteront un regard attentif à leurs conclusions. Et que pense Michael Byers de la stratégie conservatrice actuelle de militariser le Nord? « M. Harper a fait des choses importantes comparativement à M. Martin ou M. Chrétien. Les décisions de M. Harper au sujet du passage du Nord-Ouest sont mieux. […] Mais ce n’est pas suffisant. La solution n’est pas seulement une solution militaire, c’est aussi nécessaire de construire et d’acheter de nouveaux brise-glaces pour la Garde côtière canadienne. Ils ont besoin de ça. La GRC peut aussi aider beaucoup avec la souveraineté canadienne. Les problèmes dans le passage du Nord-Ouest sont susceptibles à une réponse civile. Il faut aussi profiter de la présence des Inuits et utiliser leur expérience et leur grande connaissance du territoire », a-t-il expliqué.

Mission impossible en Afghanistan

L’expert en question internationale a également donné son point de vue concernant la présence canadienne en Afghanistan. Selon lui, la mission armée dans la région de Kandahar à laquelle est confiné le Canada est vouée à l’échec.

« Ils utilisent l’approche américaine de Donald Rumsfeld en Irak dans le sud de l’Afghanistan. C’est une approche d’aller chercher le conflit, engager l’ennemi dans des combats. Mais malheureusement, l’approche ne fonctionne pas. Regardez l’histoire des Américains au Vietnam », a illustré M. Byers. Il note que, contrairement au nord du pays, aucun progrès n’a été réalisé au sud de l’Afghanistan depuis le début de l’intervention armée en 2001.

« Dans le sud, au niveau de la sécurité, la situation est pire qu’avant. De plus, la production d’opium a beaucoup escaladé. 97 % de l’héroïne mondiale vient d’Afghanistan après six ans d’occupation ».

Michael Byers déplore que 78 militaires canadiens aient déjà perdu la vie depuis le début du conflit en Afghanistan et croit qu’il est grand temps pour le Canada de revoir la mission. Il se demande d’ailleurs pourquoi d’autres forces alliées de l’OTAN comme l’Allemagne et la France refusent d’envoyer leurs soldats dans le sud. « Ils ont peut-être analysé l’approche et ont vu que ça ne fonctionnait pas », a-t-il affirmé. Même s’il remet en cause la mission canadienne sous sa forme actuelle, ce dernier donne tout son appui au personnel militaire sur place. « Moi, je suis fier des soldats canadiens parce qu’ils essaient de faire un bon travail dans des circonstances difficiles. Mais la question n’est pas: est-ce que je suis fier des soldats? La question est: est-ce qu’ils sont envoyés dans la bonne mission? », a-t-il questionné.

M. Byers soutient en terminant qu’une possible résolution du conflit passe par des discussions et des négociations avec les différentes factions du camp ennemi ainsi qu’avec le pays voisin de l’Iran.