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le Jeudi 19 novembre 2009 13:14 Société

Légende vivante Le premier hippy sur l’eau quitte Yellowknife

Légende vivante Le premier hippy sur l’eau quitte Yellowknife
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John Alexander met un terme à trente ans de vie nordique, pendant laquelle il a démarré l’insolite communauté des maisons bateaux dans la baie de Yellowknife.

 

À vendre! Le bonhomme a son voyage. John Alexander n’en peut plus des 40 degrés sous zéro et des petits problèmes de ses locataires. Il vend son hangar commerce/appartements de la vielle ville qui arborait jadis un gigantesque dinosaure et s’installe dans la Colombie Britannique profonde. Pourtant, avec toutes ses bonnes raisons qui le pousse à quitter la capitale de TNO, John Alexander aura toujours le cœur amarré à l’île Joliffe, tout comme l’est encore la première maison bateau qu’il a construite dans les années 80 et qui a lancé la plus incroyable des communautés ténoise reconnue de partout comme un des symboles de Yellowknife, avec l’or et les aurores boréales.

L’étincelle a jailli autour d’un feu au woodyard… En 81 ou 82, ça fait trois ans que John a une bonne job et pas vraiment d’argent, il vit dans un shack et discute avec des amis du prix exorbitant de l’immobilier. À Yellowknife comme toujours, on ne peut pas acheter de terrain en dehors des limites municipales. Les maisons coûtent trop cher et ils n’iront pas vivre à PlastiqueVille. C’est alors que Scott se rappelle cette petite cabine qui est à l’eau, amarrée à une vielle barge en bois échouée sur la rive un peu plus au nord dans la baie. « Ben oui, c’est sur cette barge qu’on fête les solstices d’été, et ta petite garçonnière, elle flotte grâce à du styrofoam », on entend dire. C’est là que le feu a pris! John Alexander s’exclame : « C’est une méchante bonne idée que t’as là Gary, il faut construire des maisons et les faire flotter sur la baie de la vielle ville ».

Les cendres étaient encore chaudes, lorsque Scott et Gary mirent la main sur quatre traverses de bois longues de 15 mètres. L’un d’eux empocha le contrat d’abattre plusieurs poteaux électriques le long du sentier Ingraham et les mines ne savaient plus quoi faire de leurs barils d’essence. Pendant l’hiver, sur la glace de la baie, ils construisirent deux radeaux de 15 x 7 mètres soutenus par des dizaines de barils de 45 gallons qui se plaçaient à la perfection entre les poteaux de bois transversaux. C’est à ce stade, que John, trentenaire aux cheveux longs jusqu’au coude, racheta une des deux structures à Scott qui s’était fait muté dans une autre ville. Il ne lui restait plus qu’à construire la maison qui irait dessus.

Au début des années 80, les mineurs modernes venaient s’installer à Yellowknife avec femme et enfants. Plus question pour la mine Giant de loger ses travailleurs dans des pavillons-dortoirs. C’est donc pour un dollar symbolique que Gary Vaillancourt et John Alexander ont acquis une de ces vielles bâtisses de bois à deux étages. Pendant 80 jours après leurs heures de travail, ils ont démonté clou par clou leur pavillon. Plus tard ce sont ces planches, ces montants, ces poutres de toutes les dimensions qui ont servi à construire les deux premières maisons bateaux. Tout en apprenant sur le tas, les deux amis ont construit leur habitation de façon différente et l’anecdote veut que la maison bateau de l’un ressemblât au shack de l’autre, et vice-versa.

« Il ne nous fallait plus que l’isolation, l’électricité et le pare-vapeur, se rappelle John Alexander. J’ai fait la mienne avec une arche pour le toit. J’ai aussi surélevé la chambre et la salle d’eau et j’ai installé les panneaux solaires qui me servaient déjà dans le woodyard. Quand j’ai emménagé, j’étais au chaud et au sec… et c’est à peu près tout. Il m’a fallu près d’un an pour finir l’intérieur et l’aménager à mon goût. Gary et moi sommes deux anciens pilotes et je pense qu’on a gardé ce réflexe d’avoir tout en double au cas où il y aurait une panne. Alors j’avais un poêle à bois et un chauffage au propane. Les lumières et le réfrigérateur fonctionnaient également au propane et je n’utilisais de l’électricité que pour écouter de la musique. On avait nos toilettes à compost qui ne marchaient pas vraiment et on prenait nos douches avec un système de pompe tirant de l’eau qui chauffait sur le poêle dans une énorme boîte de conserve. »

John Alexander décrit cette partie de sa vie comme une expérience de style de vie autonome et écologique… à – 40 degrés C. « On était des hippys, et on s’éclatait à vivre avec un style de vie différent. Nous vivions sur l’eau, hors de la juridiction de la ville. Ce n’est pas tant le fait que l’on ne payait pas de taxes qui nous faisait plaisir, mais seulement que nous avions réussi à trouver la brèche dans le système qui nous permettait d’habiter à Yellowknife à notre façon », affirme t-il.

Depuis plus de vingt ans, cette flamme a continué de brûler et le flambeau s’est transmit à d’autres. Dans les années 90, John Alexander a vendu son logis flottant et a déménagé sur le quai du gouvernement. Maintenant, sa maison se maintient hors de l’eau grâce à des réservoirs de propane tandis que Gary Vaillancourt vit toujours dans sa maison qu’il a éventuellement transférée sur une gigantesque barge et à laquelle il a lui-même greffé deux autres étages, une serre et plusieurs autres logements. Ce sont maintenant plus d’une vingtaine de maisons bateaux que John Alexander peut compter de son balcon qui domine le chenal le séparant de l’île Joliffe. Elles sont ancrées et possèdent des bouts de pipeline scellés comme moyen de flottaison. Récemment certaines se sont vendues autours de 160 000 dollars, ce qui est toujours un peu mieux que la moyenne du marché immobilier de la capitale qui s’élève approximativement à 260 000 dollars pour une maison mobile située en zone résidentielle et 500 000 dollars pour une belle maison sur l’île Latham.

Le premier hippy à vivre sur la baie de Yellowknife va bientôt cesser d’observer le résultat d’une folle étincelle, il se souviendra de ces moments magiques coupé du monde, de ces soirées terrifiantes où le vent du mois d’octobre pousse des vagues dignes d’une mer agitée, de ces traversées en canoë l’été, à pied, en auto ou motoneige l’hiver. Avant de partir pour le Sud, il se dit heureux qu’aucune noyade n’ait été recensé parmi la communauté, que tous continuent de respecter l’environnement en se débarrassant de leurs excréments et de leurs ordures dans les infrastructures prévues à ces effets, et finalement que la plupart de ces résidents aimeraient encore payer des taxes à une ville qui ne peut officiellement pas les taxer.