Micro en main, Charles-Antoine Bélair, journaliste de L’Aquilon, se fond à l’Opération Nanook 2012, ralliant Forces canadiennes, Gendarmerie royale du Canada et Rangers canadiens. Trois jours de mission dans le Nord, le temps d’une simulation des plus réalistes.
Nous sommes à Tsiigehtchic, le 20 août, une petite communauté des Territoires du Nord-Ouest, au sud d’Inuvik. Le matin même, un pilote de l’armée de l’air pose le Twin Otter qui nous menait au camp, directement sur la route territoriale Dempster.
En soit, cela peut paraître un faible exploit, mais ce n’est pas tous les jours qu’un avion atterrisse sur une route de terre battue aussi petite et entourée d’arbres. Les policiers de la Gendarmerie royale se sont mobilisés pour bloquer l’accès aux voitures alors que les Rangers canadiens ont veillé à ce qu’aucun animal ne vienne perturber la venue de l’appareil.
Il faut dire qu’il s’agit là, d’une mesure d’urgence puisque nous avons appris que le traversier de la rivière Arctic Red vient d’entrer en collision avec une barge qui contenait des substances chimiques dangereuses pouvant se répandre dans la rivière.
« Je ne vais pas vous mentir, de faire atterrir ce Twin Otter sur une piste aussi étroite est une des choses les plus stimulantes que j’aie faite, affirme le lieutenant-colonel Desmond Brophy. La surface n’est pas complètement plane, c’est étroit, il y a des panneaux et des buissons autour. Mais ce qui est singulier au Twin Otter, c’est qu’il est parfait pour garder un cap. Nous n’avons pas besoin d’une vraie piste d’atterrissage. »
Simulation de crise
Évidemment, le traversier de la rivière Arctic Red n’est pas réellement entré en collision avec une barge. Ceci n’est qu’une mise en situation dans le but de nous entraîner à réagir le cas où un tel accident surviendrait.
Mais pour nous qui sommes sur le terrain, nous nous devons de prendre toutes les actions nécessaires comme si c’était réellement arrivé.
« En ce moment, nous faisons de notre mieux pour minimiser les impacts sur les résidents de Tsiigehtchic ou quiconque emprunterait la route territoriale Dempster ou encore le traversier, nous informe le sergent-chef major de la GRC, Al McCambridge. »
Alors que notre équipe arrive à peine sur le terrain pour entrer en fonction, la situation a évolué depuis l’accident maritime et plusieurs troupes sont déjà en place.
À la base, ce problème est de niveau municipal et territorial. Alors qu’un tel accident surviendrait, ce serait la Gendarmerie royale du Canada qui aurait à s’occuper de l’affaire avec le ministère des Transports des TNO.
Mais comme la barge impliquée dans la collision contiendrait des produits chimiques à haut risque de contamination, la GRC, dans cette situation de crise, ferait appel à l’assistance des militaires. C’est ce qui nous amène sur le terrain ce 20 août 2012.
Coordonner les opérations
Le Commandment Assessment Team est déjà sur les lieux, étant arrivé parmi les premiers sur place. Cette équipe s’occupe de recevoir les ordres de la GRC pour les transmettre aux Forces armées canadiennes.
Entrant dans la tente du centre de commande, j’interpelle le Capitaine Jocelyn Démétré pour connaître l’état de la situation.
— Capitaine Jocelyn Démétré : J’avais déjà une idée préétablie de la situation et la GRC a concrétisé ce que nous pensions, mes supérieurs d’Ottawa et moi. Maintenant, je vais établir les tâches qui doivent être directement assignées aux Forces armées canadiennes.
— Charles-Antoine Bélair : Qu’est-ce qui doit être fait?
— CJD : Il faut se préparer à faire des postes d’observation et des postes de contrôle au niveau de la circulation. La tâche sur le terrain sera de contrôler cette grande zone qui possède plusieurs points d’accès : le fleuve Mackenzie et la route Dempster.
— CAB : Quel est l’objectif?
— CJD: Nous devons maintenir le partenariat entre les gouvernements municipal, territorial et fédéral au niveau de nos capacités à travailler ensemble dans la gestion d’une situation de crise. Et cela, jusqu’à sa résolution. Nous allons valider sur le terrain, le mécanisme que nous avons établi.
Opération de recherche
Le sergent-chef major McCambridge intervient aussitôt pour nous informer qu’un autre « incident » nous appelle : un homme dans la trentaine nommé Mikey se serait perdu en forêt vers Fort McPherson alors qu’il allait cueillir des baies.
L’équipe d’intervention traverse donc le fleuve Mackenzie à l’aide de bateaux pour partir à la recherche de cet homme, assisté par l’expert technicien Barry Kelly, qui apporte un appareil très intéressant. Alors que des soldats s’engouffrent dans la forêt par troupe de cinq ou six traçant des cercles de différentes circonférences, le technicien s’affaire à activer une caméra robot appelée Dragonfly. Doté de quatre hélices, l’engin s’envole à 120 mètres de hauteur, et survole le périmètre autour duquel Mikey aurait été susceptible d’aller.
Au bout de trois heures de recherche, nous parvenons à localiser le disparu. Constatant aussitôt qu’il n’a pas besoin d’assistance médicale, nous l’escortons simplement en lieu sûr.
« Beau travail tout le monde, l’exercice de l’homme perdu s’est bien déroulé », indique le sergent Chris Alden, qui s’était tenu en retrait jusqu’à présent pour observer l’opération. « Nous avons identifié les bonnes ressources et les techniques à utiliser. Cela nous a donné de meilleures chances pour retrouver notre homme. Nous avons aussi bien identifié et compris la zone à couvrir en nous mettant dans la position d’une personne perdue. Nous avons réussi, ce fut un bon travail d’équipe. »
Protéger les protecteurs
Le soir venu, un peu de temps libre nous est accordé et nous descendons sur le bord du fleuve où nous retrouvons les Rangers canadiens autour d’un feu.
— CAB: Capitaine, est-ce que vous pourriez m’expliquer le mandat des Rangers canadiens?
— Capitaine Jean-Benoît Garneau : Certainement, les Rangers sont répartis à travers les trois territoires, dans 59 communautés du Nord. En ce moment, 85 % des communautés sont couvertes dans le Nord, donc ils sont capables de réagir à des situations comme nous sommes en train de pratiquer actuellement. Les Rangers servent à multiplier une force qui pourrait être déployée rapidement. Ils sont en mesure de prêter leur expérience aux forces en place, alors qu’elles débarquent avec des équipements non adaptés aux situations. Ils peuvent se joindre aux groupes de commandement pour que ceux-ci puissent prendre de meilleures décisions.
— CAB : Donc les Rangers sont des experts du terrain! Ils sont là pour aider la GRC et l’armée à se déplacer de façon sécuritaire en terre nordique?
— CJBG : Effectivement, ils sont les experts de la région et sont là pour partager leurs contacts, c’est ça la beauté des choses. Ils travaillent en plus petits groupes, mais ils sont extrêmement efficaces.
— CAB : Vous avez aussi abattu un ours?
— CJBG : Oui, lors de la première journée, un ours est arrivé à moins de 500 mètres du camp et ce n’était qu’une question de temps avant qu’il ne s’infiltre. C’est une procédure normale. Les Rangers, ayant vu l’ours lors d’une patrouille, ont pris la décision de l’abattre. Les agents de la faune nous ont ensuite donné des indications et nous avons brûlé la carcasse.
Visite ministérielle
La deuxième journée, c’est la visite-surprise du ministre de la Défense nationale, Peter MacKay, accompagné de hauts gradés de la GRC et des Forces canadiennes. Durant la visite du campement, le ministre n’a pas hésité à vanter le déploiement de l’Opération Nanook 2012.
« Cette opération permet aux Forces canadiennes de travailler étroitement avec la GRC, les Rangers et les ministères gouvernementaux et cela laisse de plus grandes traces : une présence et une compréhension de comment nous protégeons la souveraineté dans le Nord, tout en opérant dans des conditions austères. C’est un entraînement qui a une façon très réaliste de répondre à un scénario de menace environnementale et d’accident. Il y a aussi vraiment eu un esprit de collaboration pour trouver des techniques adéquates et à en améliorer d’autres. Il y a énormément de bénéfices aussi à collaborer avec les Rangers qui proviennent des communautés locales. »
La troisième journée met un terme à notre périple à Tsiigehtchic. Et après un passage à Norman Wells, nous sommes rentrés à Yellowknife.
Dans la région du Beaufort-Delta, la mission d’opération se poursuit jusqu’à la fin du mois d’août où les autres soldats, policiers et rangers mobilisés pourront compléter leur collaboration.