Le potentiel de l’agriculture arctique et subarctique est à peine effleuré.
Le réseautage, le transfert de technologies et de savoirs sont des outils formidables. La production de nourriture en zones arctiques et subarctiques pourrait aisément décupler si on s’en servait comme leviers.
Ellen Avard est une doctorante en sciences géographiques de l’Université Laval. Son engagement dans la mise en activité d’une serre à Kuujuaq a eu un certain écho dans les médias québécois. Si ses travaux sont cités en exemple, ils seraient beaucoup plus avancés si elle avait pu tirer profit des recherches de Josef Svoboda, un professeur retraité de l’Université de Toronto qui a expérimenté avec des serres dans l’Arctique au début des années 80. « Nous avons dû réinventer la roue parce que les travaux du Dr Svoboda n’étaient pas en ligne, constate Ellen Avard. Ça m’a pris quatre ans avant de mettre la main dessus. Si je les avais eus avant, nous aurions une bonne longueur d’avance dans nos travaux. »
Il y a donc un certain manque au niveau de la transmission d’informations, malgré l’existence d’un organisme comme le Northern Agriculture Thematic Network. Un réseau formel d’échanges pourrait bientôt être mis sur pied par la Circumpolar Agricultural Association, qui présentait en Alaska, du 29 septembre au 3 octobre dernier, sa 8e conférence, organisée en collaboration avec l’Université de l’Alaska et l’Université de l’Arctique. Torfi Johannesson a été élu comme nouveau président de l’Association lors de l’événement. « Il a promis de mettre sur pied un site Internet pour l’échange et le partage des expertises, rapporte Ellen Avard. Karen Tanino (professeur de botanique à l’Université de Saskatchewan) travaille également à mettre sur pied un site Internet consacré à la sécurité alimentaire dans le Nord. »
Un sommet…
Au sommet de l’Alaska, l’agriculture a été traitée sous tous les angles par des sommités des pays arctiques, de la contamination des sols à la santé animale en passant par la gestion des serres, l’éducation des Premières Nations et le niveau d’antioxydants dans les baies de l’Alaska. Ellen Avard en était à son 2e sommet du genre, après celui organisé par Karen Tanino l’an dernier, qui portait sur les serres nordiques. Elle a beaucoup apprécié. « On y trouve des gens de tous les horizons : des agriculteurs, des chercheurs, mais aussi des gens qui participent à la mise sur pied de politiques agricoles ou alimentaires, des travailleurs communautaires, etc. Ça m’a permis de mettre des visages sur des gens dont je connaissais les travaux ou avec qui j’avais déjà échangé des courriels, comme Josef Svoboda et Lone Sorensen. »
Cette dernière est une personnalité connue de l’agriculture et de la sécurité alimentaire aux Territoires du Nord-Ouest. Basée à Yellowknife, elle est notamment formatrice en horticulture, donne des ateliers dans les écoles et à N’dilo. Seule représentante des TNO présente à la 8e Conférence sur l’agriculture arctique, Lone Sorensen y a présenté les réussites récentes de l’agroalimentaire territorial : les activités précitées, mais également le Marché Fermier, le Northern Farm Training Institute, la formation de jardinage qu’elle donne aux jeunes contrevenants.
Le voyage en Alaska de cette femme avide de réseautage a été fructueux. Sa rencontre la plus marquante a été celle avec Kreesta Doucette, la fondatrice de Food Matters Manitoba, impliquée comme Lone Sorensen dans l’agriculture avec les jeunes des Premières Nations. Les deux femmes élaboreront des projets conjoints en ce sens et Lone Sorensen tentera d’emmener des jeunes des TNO au Manitoba fin février pour qu’ils puissent présenter le travail qu’ils ont fait à l’école. D’autres projets ont été esquissés pour le renforcement des compétences des communautés.
Autre rencontre importante, celle de Norma Kassi, chef du gouvernement Vuntut Gwitchin à Old Crow (Yukon), directrice de la collaboration avec les Premières Nations à l’Institut arctique de recherches sur les communautés et impliquée dans différents aspects de la sécurité alimentaire. Norma Kassi devrait être à Yellowknife pour les ateliers panterritoriaux sur le pergélisol, événement qui se tiendra du 5 au 7 novembre. « Au Yukon souligne Lone Sorensen, le gouvernement et la Yukon Farmers Association sont très proactifs et accomplissent de belles choses avec le programme Cultivons l’avenir. » La formatrice vante également le modèle norvégien, inspirant, bien structuré, et à l’écoute de la base, c’est-à-dire les agriculteurs.
Un potentiel inexploité
Malgré tout ce savoir, toutes ces activités, Ellen Avard considère que le potentiel de l’agriculture arctique est encore largement inexploité. « Ça se compare à l’agriculture urbaine. On peut s’approprier des entrepôts pour y faire pousser des germinations ou autres choses. À l’Université Laval, on développe la culture de pommes de terre en hydroponie et le rendement est plus élevé qu’en champs. Ça pourrait être adapté dans le Nord, comme d’ailleurs d’autres cultures hydroponiques là où il n’y a pas assez de terre. » Le coût de l’énergie est bien sûr un défi dans le Nord, convient Ellen Avard, qui souligne tout de même qu’avoir une bonne alimentation peut économiser des coûts en santé beaucoup plus élevés dans le futur. Et il y a d’intéressantes technologies accessibles, comme des procédés de capture de chaleur résiduelle à partir du diésel, des fournaises fonctionnant avec de l’huile alimentaire usée. « Le savoir est là, affirme la doctorante en sciences géographiques et les Premières Nations manifestent une grande ouverture. »