Quel est le principal sujet de discorde en France, en ce début d’année? Si vous avez répondu la crise des migrants, vous avez tort. Le débat qui fait rage concerne plutôt la nouvelle orthographe.
En annonçant, début février, qu’ils adopteraient la nouvelle orthographe dès le mois de septembre, les éditeurs de manuels scolaires français ne se doutaient pas qu’ils déclencheraient une telle controverse autour d’une réforme pourtant annoncée en… 1990!
« Voilà le paradoxe : mal reçues en 1990 par plusieurs milieux, jamais imposées par l’État, les rectifications ont néanmoins été retenues dans nombre de contextes, sans qu’on le sache toujours. Aucun gouvernement, aucun ministère de l’Éducation n’a imposé ces rectifications, malgré des directives qui visaient à en faire la référence en matière de langue scolaire », résume Benoît Melançon, professeur titulaire et directeur au Département des littératures de langue française de l’Université de Montréal.
L’annonce des éditeurs français a malgré tout pris une ampleur démesurée, les politiciens décidant d’ajouter leur voix au débat.
Se faisant rassurant, le gouvernement français a confirmé que les deux graphies des mots août/aout, oignon/ognon et nénuphar/nénufar, entre autres, continueraient à être acceptées. Pendant ce temps, les partis adverses avançaient que le fait de vouloir simplifier la langue française constituait du nivellement vers le bas. Benoît Melançon ne partage pas ce dernier point de vue.
« Les rectifications orthographiques pourraient être enseignées dans les écoles et ce serait tout à fait acceptable. Elles le sont très peu présentement. À mon avis, ce n’est pas du tout du nivellement par le bas. Toutes les langues du monde passent par des réformes plus ou moins importantes de leur orthographe », souligne M. Melançon, citant en exemples les réformes proposées en 1740, en 1901 et en 1976.
Au Canada, la nouvelle orthographe ne soulève pas autant les passions que chez nos cousins français.
En fait, l’hésitation des ministères provinciaux de l’Éducation, des établissements d’enseignement postsecondaire et des différents ordres de gouvernement à trancher clairement dans ce débat fait en sorte qu’on ne sait plus trop sur quel pied danser en ce qui a trait à la façon d’écrire correctement les quelque 5000 mots visés par la réforme. Essentiellement, on accepte toujours les deux formes, c’est-à-dire la nouvelle orthographe et l’orthographe dite traditionnelle.
Les deux premières provinces à prendre position ont été l’Alberta et la Saskatchewan. Le gouvernement de chacune de ces provinces privilégie la nouvelle orthographe depuis 2009. Le Nouveau-Brunswick a par la suite emboîté le pas, en invitant le personnel enseignant de la province à opter pour l’orthographe simplifiée. Même chose en Nouvelle-Écosse, où on utilise la nouvelle orthographe depuis 2011.
En Ontario, le gouvernement provincial continue d’admettre et de reconnaître les deux orthographes, bien que l’on invite les gens à adopter la nouvelle orthographe.
« Il est important de conserver la même orthographe, qu’elle soit traditionnelle ou nouvelle, pour un même mot au sein d’un même document. Un bon conseil à suivre est d’accorder la priorité aux graphies préconisées dans le cadre des rectifications de l’orthographe, pour autant que ces graphies soient consignées dans les dictionnaires usuels », stipule le Guide de rédaction et de communication du gouvernement de l’Ontario.
Plus grande université bilingue au pays, l’Université d’Ottawa accepte elle aussi la nouvelle orthographe et l’orthographe traditionnelle, sans pour autant en recommander une en particulier à ses étudiants et à ses professeurs.
« Cette réforme a été réalisée dans un souci de simplifier l’orthographe française, souvent qualifiée des plus difficiles. À vous de prendre la décision de l’utiliser ou non. Sachez que vous ne pouvez pas pénaliser une personne qui choisit d’utiliser la nouvelle orthographe ou de ne pas l’utiliser », indique l’institution dans une note adressée à ses professeurs.
Enfin, lorsque l’on sonde le terrain du côté de l’Office québécois de la langue française, la réponse n’est pas plus convaincante.
« Les rectifications de l’orthographe, bien qu’elles soient officielles, sont des recommandations, des propositions. Elles n’ont pas de caractère obligatoire. Nous sommes encore dans une période de transition pendant laquelle les deux graphies sont admises », précise-t-on.
Bref, c’est selon le goût de chacun. Ou selon le « gout » de chacun, devrait-on écrire.