Les propos de Mme Denise Bombardier à l’émission TLMP du 21 octobre 2018 ont suscité beaucoup de réactions dans les communautés francophones vivant en milieu minoritaire.
J’ai eu envie de rétorquer à Mme Bombardier que le Québec devrait plutôt balayer dans sa cour et tenter de retenir les francophones qui ont d’abord immigré au Québec, mais qui finissent par jeter l’éponge et s’en aller ailleurs au Canada. Je me suis souvenue d’un autre documentaire intitulé les Québécois de la Loi 101 diffusé l’an dernier par Radio-Canada pour commémorer les 40 ans de la Loi 101. Le constat en était que les jeunes issus de l’immigration vivent une profonde crise identitaire même étant nés au Québec et leurs parents (bien que parlant une langue tierce) leur ayant transmis le français comme langue cible. Ils disent avoir du mal à se proclamer Québécois même si certains au fond d’eux-mêmes se sentent Québécois. J’avoue avoir ressenti la même chose malgré toutes les années que j’ai passées au Québec. Il me semblait présomptueux de me présenter comme une Québécoise, comme si cette identité était réservée et protégée comme une marque déposée. Comme si c’est une identité qu’on ne peut pas s’approprier, c’est à la société québécoise de l’octroyer ou pas. On n’ose pas s’autodéclarer québécois comme le dit si bien un des jeunes participant au documentaire de Radio-Canada. Par contre, je n’hésite pas à dire que je suis canadienne. Il y a cette ambivalence entre ce que nous ressentons, notre attachement au Québec et la réalité qui nous pousse à nous installer ailleurs au Canada.
« On va les avoir ces Anglais »
Lorsque je travaillais à Service Canada, j’avais un client qui venait s’enquérir régulièrement de divers services gouvernementaux. C’est un ainé francophone et pour lui, s’adresser au gouvernement revenait nécessairement à s’adresser aux « Anglais ». Pendant que je consultais son dossier ou que nous étions en ligne, attendant patiemment que le prochain agent nous réponde au téléphone, mon client répétait malicieusement son expression favorite « On va les avoir ces Anglais, on finira par les avoir » ! Il a passé plus de 70 ans dans le Nord, toute sa vie active en fait avec les « Anglais », et voilà que dans ses vieux jours, il déclare un peu à la blague qu’il a une revanche à prendre sur ses amis et voisins ! Cette anecdote illustre pour moi cette rivalité, qui existe encore entre les francophones et les anglophones et qui prend les immigrants, fraichement arrivés ou non, au dépourvu. Pour nous, les termes « séparatiste », « fédéraliste », « nationalisme québécois », « la charte des valeurs » sont autant de notions que nous peinons à appréhender et comprendre totalement. Nous nous sentons tiraillés, sommés en quelque sorte de choisir un camp dans un combat que nous n’arrivons pas à faire nôtre. Est-ce une des raisons pour lesquelles certains immigrants quittent le Québec ? En voulant protéger sa langue et sa culture, résister à l’assimilation et survivre comme société distincte, le Québec aurait-il tendance à se replier sur lui-même ?
Qu’en est-il de ces départs apparemment massifs des immigrants du Québec vers des cieux plus accueillants ?
Ne soyons pas alarmistes, les données de Statistique Canada révèlent que le taux de rétention des immigrants francophones au Québec est satisfaisant et comparable à celui des autres provinces lorsqu’ils accueillent des immigrants anglophones. Il n’y a pas d’exode et seulement un sixième des immigrants francophones quittent le Québec cinq ans après leur arrivée au Québec. Mais le phénomène reste tout de même assez intrigant. Pourquoi les immigrants qui ont d’abord posé leurs valises au Québec finissent par se ruer vers l’Ouest et/ou le Nord ? De mes discussions avec les autres immigrants, il ressort des similitudes qui rendent le tableau des statistiques un peu moins reluisant. Leurs histoires rappellent un peu l’exode qu’a déclenché la Loi 101 votée au Québec en 1977 pour protéger la langue française. On dit que 100 000 personnes anglophones avaient quitté Montréal en moins de cinq ans et emprunté l’autoroute 401 en direction de Toronto, rebutés par la perspective de devoir apprendre et utiliser le français dans leur vie quotidienne.
Pour nous les immigrants francophones, la Loi 101 n’est pas rébarbative puisque nous choisissons le Québec comme terre d’accueil justement à cause du français. Alors pourquoi ces départs, si la langue n’est pas le problème ? C’est essentiellement la difficulté de dénicher un travail qui corresponde à nos qualifications. Et pourtant, il est plus facile d’étudier au Québec; le programme de prêts et bourses est avantageux, les frais de scolarité y sont moins élevés et le système de garderie abordable permet aux parents de jeunes enfants de poursuivre leur scolarité.
Une fois les diplômes en poche, c’est la galère
Dans un entretien d’embauche à Montréal, un immigrant se fait répondre que son anglais n’est pas assez bon. Il se dit prêt à l’améliorer au cours de sa période d’essai, mais on ne lui en donne pas la possibilité, ses autres qualifications ne semblent pas être des critères aussi essentiels que la maitrise de l’anglais. Quel paradoxe dans la province de la Loi 101 ! Un autre doit traverser la rivière des Outaouais pour obtenir son certificat d’enseignant et y décrocher son premier poste dans une école d’immersion d’Ottawa malgré un anglais rudimentaire. Il finit par accepter un poste dans le Grand Nord québécois avant de décider d’aller plus à l’Ouest. Un autre est renvoyé à la fin de sa période probatoire de six mois à cause d’une erreur faite le premier jour, erreur qualifiée d’infraction à la sécurité du système informatique. Cette faute n’avait pas semblé inquiéter outre mesure la personne responsable de l’orientation et avait été corrigée aussitôt. Six mois plus tard, on a signifié à l’immigrant que l’essai a été non concluant. Plusieurs déceptions de ce genre qui peuvent décider quelqu’un à changer de cap et choisir l’Ouest, en dépit de la barrière linguistique.
Dans l’Ouest et le Nord canadien, le marché du travail est plus ouvert et plus accueillant pour les immigrants, peu importe leur langue maternelle
Ce qui pourrait être considéré comme une barrière linguistique insurmontable est vu comme un défi à relever, et par l’employeur et par l’employé conjointement, et cet effort commun finit par payer. Certes, la perception que nous les immigrants avons d’être parfois soumis à de doubles standards, d’être plus surveillés que nos collègues demeure, mais dans l’Ouest et le Nord, on nous donne la chance de prouver nos compétences. Nous avons le sentiment que dans l’Ouest et le Nord, tout le monde est plutôt logé à la même enseigne en termes d’avancement professionnel. Il faut être présent, se présenter au bon moment et au bon endroit et mettre la main à la pâte et le reste suivra en temps et lieu. La pâte finit par lever. D’une façon ou d’une autre. Dans la Belle Province, les choses sont loin d’être aussi simples. Tout est dans la manière de faire. Alors que dans l’Ouest et le Nord, tout est axé sur le résultat. La culture, l’accent, l’origine, pure laine ou pas, tout cela est relégué au second plan, voire même carrément ignoré. C’est le sentiment qu’ont les immigrants qui ont fait le saut vers l’Ouest ou le Grand Nord canadien.
La Loi 101 a assuré la survie du français au Québec en francisant les immigrants, mais n’a pas réussi à forger l’identité québécoise au sein des communautés culturelles. Le Québec risque de devenir de plus en plus un passage et non un lieu de résidence permanente des immigrants francophones qui sont pourtant les immigrants naturels qui devraient s’y intégrer plus facilement. Tout un chantier pour le gouvernement du nouveau Premier ministre Legault qui dit vouloir accueillir moins d’immigrants pour pouvoir mieux les intégrer.