Le jour du Souvenir, je me souviens comment je suis devenue francophone.
À l’issue de la Conférence de Berlin de 1885, le Rwanda, le Burundi et le Tanganyika sont attribués à l’Allemagne et font partie de la Deutsch Ostafrika. À la fin de la Première Guerre mondiale, les vainqueurs se partagent l’empire colonial allemand, les Allemands perdant les colonies et les protectorats qui leur appartenaient jusqu’ alors. C’est ainsi que le Rwanda et le Burundi se sont retrouvés sous mandat de la Belgique et qu’au lieu d’apprendre l’Allemand, les écoliers rwandais ont commencé l’apprentissage du français comme langue première et du flamand comme langue seconde. Il nous arrive de nous demander ce qui serait arrivé si notre pays était resté sous protectorat allemand jusqu’à son indépendance.
Malgré, sa brièveté, la colonisation allemande a eu un impact sur notre identité
Nous avons hérité des tracés allemands et des frontières qu’ils ont cartographiées sans vraiment prendre en considération les territoires occupés par des tribus. Les Allemands que nous appelons Abadage (dérivé du « tag » comme dans Guten Tag) avaient la réputation d’être aussi cruels que leurs successeurs, mais eux au moins on leur prête des vertus de bâtisseurs et de pragmatiques. Il parait que les Allemands avaient une fixation sur le rail, car la construction des chemins de fer faisait partie de leur Constitution. Trois grandes voies ferrées avaient été prévues par les Allemands dont une qui devait assurer la jonction entre le Congo belge et l’Afrique orientale allemande. Mais la guerre mondiale est passée par là et nous n’avons pas eu notre voie transcontinentale partant de Matadi. Le rôle de la colonisation allemande dans l’histoire de l’Afrique est assez controversé. Dans mon pays, ce rôle est assez marginal et peu connu des jeunes générations. Pourtant les Rwandais se targuent encore d’avoir hérité de la discipline et de l’éthique de travail des Allemands. On oppose les Allemands aux Belges, qu’on accuse d’avoir institutionnalisé les ethnies, ce qui a occasionné des crises successives culminant en génocide au Rwanda, et des massacres récurrents au Burundi. Les Belges étaient perçus comme des intrigants qui ont divisé les Rwandais pour régner. On se demande souvent si notre histoire aurait été moins tragique si les Allemands étaient restés plus longtemps. On se rappellera cependant le génocide des Hereros de Namibie en 1904 et celui des Juifs durant la Deuxième Guerre mondiale. On ne peut pas glorifier une colonisation, quelle qu’elle soit. Dans certains pays de l’Afrique, comme le Cameroun et le Togo, la colonisation allemande a duré plus longtemps et laissé plus de traces, incluant des chemins de fer !
Notre entrée dans la modernité et la francophonie
Pendant ma scolarité, j’étais très fière lorsque j’apprenais l’histoire glorieuse des Rois rwandais qui n’ont pas pris part au florissant marché d’esclaves, les caravanes de négriers ayant été accueillies à coups de lance. Ainsi, contrairement à beaucoup de pays de l’Afrique, le Rwanda n’est pas entré dans le monde global au 16e, 17e et 18e siècle par le biais de l’esclavage. Ce n’est qu’au moment de la Première Guerre mondiale que mon pays entre dans la globalisation comme acteur, car les troupes rwandaises se sont battues aux cotés des Allemands contre les Belges qui étaient basés au Congo, aidés par les Anglais qui colonisaient l’Afrique de l’Est. C’est ainsi que le Rwanda, comme beaucoup d’autres pays africains a participé au premier conflit de l’ère moderne. Nos pays sont devenus francophones lorsque la France et la Belgique ont récupéré les colonies allemandes, mais il n’en demeure pas moins que chaque colonisation, mandat ou tutelle, laisse des traces indélébiles sur les peuples colonisés. À l’Armistice, la francophonie a conquis de nouveaux territoires, et c’est de cela que je me souviens aussi le jour du Souvenir.