Chaque année, on célèbre la Semaine de la diversité en milieu de travail et il m’est arrivé à quelques reprises de me porter volontaire pour organiser des activités soulignant la richesse de nos différences.
J’ai constaté assez vite que le syndrome qu’on appelle communément la lassitude de la diversité (diversity fatigue) était répandu. Si l’activité proposée dans cette Semaine de la diversité se limite à partager un repas multiculturel, les personnes sont enclines à participer en grand nombre. Cependant pour les autres activités comme les discussions et des ateliers en rapport avec les enjeux de la diversité et du multiculturalisme, peu de participants répondent à l’appel.
Et la perspective des peuples autochtones sur le multiculturalisme ?
J’ai voulu en savoir davantage et j’ai lancé quelques discussions informelles avec une collègue autochtone pour essayer de comprendre son désintérêt. Selon elle, la diversité et le multiculturalisme ne sont que des slogans utilisés par les politiciens pour tranquilliser et rassurer les minorités et cela ne concerne en rien la majorité de la population. Elle m’explique que ce langage politiquement correct d’un pays champion de la diversité et du multiculturalisme permettrait d’éviter de parler ouvertement des races, du racisme et d’autres discriminations. Plus spécifiquement, les préoccupations des peuples autochtones sont selon elle plutôt axées sur les besoins primaires comme l’accès à l’eau potable et à des logements abordables, la lutte contre le suicide, etc. De fil en aiguille on a parlé des vagues de migrants qui traversent la frontière au Manitoba et au Québec depuis l’accession de Trump au pouvoir. Elle m’a rétorqué que c’est injuste que les gouvernements allouent d’énormes sommes d’argent à l’accueil des réfugiés et que cet argent des contribuables devrait être utilisé pour tirer les Autochtones de la pauvreté. (À titre d’exemple, un demandeur d’asile coute environ 8400 $ au Québec la première année de son arrivée. L’octroi des permis de travail se fait maintenant rapidement et en deux mois, les demandeurs d’asile peuvent travailler pendant que leur demande est en cours d’examen).
’essaie dans les discussions avec ma collègue d’amener des arguments tels que le droit de migrer des réfugiés et elle m’oppose les droits territoriaux des peuples autochtones (refugee right of migration vs Indigenous right of Land). Si on s’entend plus ou moins sur le caractère humanitaire d’accueillir les réfugiés, elle n’est pas convaincue par le fait qu’accueillir ces immigrants habitués à travailler 16 h/jour pour joindre les deux bouts aux États-Unis est un très bon investissement pour un pays qui doit accueillir au moins 300 000 immigrants/an pour contrer le déficit de la croissance démographique. Elle dit, pince-sans-rire, que son peuple pourrait régénérer la population du Canada si on lui en donnait les moyens. Je ne prétends pas que les opinions de ma collègue sont représentatives de la majorité des Autochtones, mais cela donne matière à réflexion sur la nécessité d’un dialogue entre les peuples autochtones et les nouveaux arrivants.
Quelles sont les perceptions des immigrants sur les peuples autochtones ?
Lorsque je discute avec des immigrants installés aux Territoires du Nord-Ouest, je constate que certains adoptent les préjugés véhiculés par le grand public à l’égard des Autochtones. Certains immigrants reconnaissent les impacts de la colonisation qu’ils ont eux-mêmes vécue dans leur pays d’origine et ressentent de l’empathie. Cependant, cela s’arrête là. Ils pensent que les erreurs du passé qui devraient être corrigées par les gouvernements ne les concernent pas.
De facto complices ?
En tant qu’immigrant, il n’est pas facile de reconnaitre que nous sommes complices et que nous bénéficions d’un système colonisateur. Nous le perpétuons si nous ne prenons pas la mesure des conséquences de la colonisation qui se poursuit. La demande de pardon de Stephen Harper de 2008 ne signifie pas la fin d’un chapitre douloureux qu’on juge irrécupérable. Ce n’est qu’un pas dans un processus de guérison, et selon les Autochtones, on doit d’abord guérir l’Eau et la Terre pour y arriver. Nous devons créer des espaces pour écouter et entendre l’histoire des peuples autochtones et comprendre le processus de guérison qu’ils préconisent. Même si nous ne partageons pas le passé, nous avons un avenir commun à bâtir.
Une piste de solution
On serait tenté de supposer qu’une proximité géographique peut engendrer automatiquement des liens entre les différents groupes habitant une localité, mais force est de constater que si nous nous rencontrons dans les parcs, les épiceries, les bureaux et autres espaces publics, il n’y a pas de réelle connexion entre les immigrants et les Autochtones, ce qui, à terme, peut engendrer des tensions comme celles qu’a connues Winnipeg. Il faut créer des occasions où les deux groupes assistent à des programmes communs au sein des organismes communautaires.
La Ville de Vancouver a lancé un projet de cercles de dialogues (City of Vancouver Dialogues Project) réunissant les immigrants et les Autochtones avec la participation des jeunes et des Ainés. Ce programme a eu du succès. Dans notre ville, un organisme comme Tree of Peace et différents organismes d’accueil des immigrants pourraient s’associer pour mener des activités artistiques et culturelles, mais surtout des séances d’échanges pour que les deux groupes apprennent à se connaitre. Un dialogue interculturel visant le partage les expériences de la colonisation, les migrations forcées, le racisme, l’exclusion, la persévérance et la résilience. Réconcilier les droits territoriaux des autochtones et le droit de migration des réfugiés et des immigrants.