Mon plus chouette copain ces temps-ci, c’est un petit castor. Ad litteram. On se tient au même endroit sur le bord de la rivière. L’eau est tellement montée, nous sommes presque à même hauteur maintenant. Je dis « petit », c’est en comparaison avec le gros — l’énorme bête avec laquelle il nageait la première fois que je l’ai vu. La même avec laquelle il est parti hier soir. Le mâle, le père, le chum… ? Je ne sais pas. Je présume que le gros est un vieux mâle et le petit… Un p’tit jeune. En tout cas, il est pas mal plus sympathique et moins farouche que l’autre. Il a vite compris que ni mon appareil photo ni ma flute alto n’est une carabine. Tu le sais que ta mort et ton poil ne m’intéressent pas, hen, belle bête. Peut-être était-ce la première fois qu’il entendait de la musique ? En tout cas, il reste avec moi, il fait sa besogne dans la bouette sur la rive, il n’a pas peur. Il est revenu hier. Ensemble, on s’expose le pelage au chaud soleil de fin de soirée. Tant que les vampires demeurent en dormance, tout va bien, on peut prendre nos aises dans l’herbe sèche… Le gros est revenu aussi, une heure après, il a eu l’air de gronder le petit. « Encore à flâner avec cette humaine ? T’as pas du bois à ramasser… ? Viens-t’en à maison ! » Ils sont aussitôt repartis, gros en tête, petit à la remorque et nageant plus près de la rive où il y a moins de courant. J’ai pensé que ça ne prendrait pas grand-chose pour que je plonge et nage les rejoindre; pour que je me change en castor aussi… En attendant de pouvoir accéder à mes facultés chamaniques, les yeux sur la rivière sans repos, je me confonds plutôt aux dernières masses de neige noire qui flottent et passent devant, en route vers l’océan Arctique où une dissolution complète les attend.
Kronik Inuvik
Kronik Inuvik
00:00