Rien ne m’avait préparée au torrent d’émotions qui me submergea lors de ma première activité des couvertures.
L’activité était organisée en marge de la rencontre annuelle Hotiì ts’eeda Elèts’ehdèe, qui réunit des chercheurs en santé, des membres de la communauté et d’autres partenaires travaillant dans le milieu de la santé.
L’activité des couvertures avait lieu au Château Nova le 22 mai 2019 et une vingtaine de personnes, Autochtones et non-Autochtones, y ont participé.
Maggie Mercredi, Denesuline et conseillère en relations avec les peuples autochtones de la Ville de Yellowknife, facilitait l’activité. En plus du narrateur Roy Dahl de la Nation Anishnaabe étaient présents Bev Bagnell et Frank Hope respectivement des Nations Swampy Cree et dénée. Bev et Frank étaient là pour nous prodiguer un appui émotionnel. Linda Bussey et Natasha McCagg complétaient l’équipe des bénévoles et jouaient le rôle des Européens qui ont « découvert la Terra Nullius ». Maggie Mercredi nous invita à prendre place sur les couvertures. Roy commença la narration de l’histoire depuis le précontact jusqu’à la conclusion des traités, la colonisation et la résistance.
L’activité commença de manière très agréable, conviviale, les choses se passaient bien sur l’île de la Tortue, on fit connaissance, on prit les objets étalés sur les couvertures, des plantes médicinales, des morceaux de fourrures, on vanta les mérites de chaque objet à notre interlocuteur et on les offrit en cadeau ou on les échangea. Le narrateur nous amena à l’arrivée des Européens.
À mesure que l’histoire progressait, les « Européens » repliaient les bordures de nos couvertures, réduisant notre espace vital au strict minimum.
Pendant la narration, Roy nous invitait à lire des cartes, des citations des colons tantôt des voix des Autochtones qui résistaient. Et notre nombre sur les couvertures diminua graduellement, mais inexorablement.
Certains d’entre nous succombèrent à la tuberculose, d’autres furent emportés par la guerre ou dépérirent à la suite de la perte de leurs terres. D’autres furent délibérément infectés par des couvertures infestées de variole. Des enfants furent arrachés à leur famille pour être adoptés dans des familles d’accueil (Sixties Scoop). Je fis partie de ceux qui sont allés dans les pensionnats et lorsque je revins, ma couverture continua à se réduire comme une peau de chagrin. On se sentit secoués, déboussolés, violentés, impuissants.
À la fin de l’activité, on nous invita à nous assoir dans un cercle de la parole. Un environnement rendu sécurisant par les organisateurs qui se présentèrent et nous parlèrent de leur vécu.
Des témoignages de survivants pleins de résilience et d’optimisme. Ensuite, la parole fut donnée aux participants. Le partage fut émouvant, les non-Autochtones avouant leur ignorance et exprimant leur reconnaissance.
La réconciliation n’est pas optionnelle
Je m’attendais à simplement compléter mon éducation, car je me croyais assez bien informée. Mais l’activité n’est pas une simple leçon d’histoire, elle ne suscite pas seulement un engagement émotif et intellectuel : elle vise à développer l’empathie.
Dans mon cas, l’activité a suscité bien d’autres échos : un génocide et ses étapes. Comparaison n’est pas raison, mais il y a des similitudes. On parle d’un génocide culturel ici, mais contrairement à ce que je croyais jusqu’à aujourd’hui, ce génocide eut et continue à avoir des effets plus dévastateurs que celui que nous avons connu au Rwanda.
Le génocide au Rwanda a été brutal : un million de morts en trois mois. Une violence systématique sur une période aussi longue que celle du génocide des Autochtones engendre des conséquences beaucoup plus pernicieuses et profondes.
À la fin de l’activité, je fus tiraillée entre une tendance cynique, défaitiste et une tendance plus optimiste : la décolonisation et la guérison sont possibles si on s’y met collectivement. Dans le cercle de la parole, nous reconnaissions que nous sommes bénéficiaires d’un système inique et qu’on se doit de l’améliorer pour les générations futures.
La solution finale à la question indienne
Une des citations qui me revient sans cesse est celle de Duncan Scott Campbell, qui dit en 1920 : « Je veux me débarrasser du problème autochtone. Je ne crois pas, justement, que ce pays doive continuer à protéger une classe de personnes parfaitement capables de se prendre en charge. […] Notre objectif est de continuer jusqu’à ce qu’il n’y ait plus un seul Autochtone au Canada qui n’ait pas été assimilé dans le corps politique, qu’il n’y ait plus de question autochtone ni de ministère des Affaires indiennes. »
Le « malentendu » des Traités
Quand les Peuples autochtones apposaient une signature sur un traité, ils pensaient que c’était une entente de partage du territoire, une entente de bon voisinage et un signe d’amitié. Ils croyaient que les droits de chasse et de pêche étaient préservés et que le gouvernement leur offrirait de l’argent, des réserves, une éducation (qui s’avèrera désastreuse avec le système des pensionnats autochtones).
Dans le cercle de la parole, une jeune Autochtone en larmes déclara : « Malgré tout ce qui a été fait pour nous éradiquer, je suis encore là. Mais j’ai besoin d’aide pour savoir où je vais et comment y arriver. »
Des témoignages de violences et de pertes diverses furent offerts avec vulnérabilité, mais aussi gratitude et espoir. Des messages de renouveau aussi, de guérison, certains Autochtones ayant réappris à parler leur langue maternelle prirent la parole dans leur langue d’abord avant de continuer en anglais. Les organisateurs nous répétèrent que les sentiments de honte et de culpabilité n’avaient pas lieu d’être. Nous n’étions pas là pour demander pardon ou être pardonnés, nous étions là pour apprendre, comprendre et avancer la décolonisation.
Connaitre l’histoire implique une responsabilité et la capacité de changer les choses.
J’aurais aimé avoir cette opportunité plus tôt. Cependant si j’étais restée au Québec ou même en Alberta, je n’aurais probablement jamais eu cette chance.
Pour cela je suis reconnaissante.