Dehors est un poème. Dehors est un poème différent chaque jour. On a marché. On a marché longtemps sur un trip improvisé dans le poème en prose de la Tuk Highway. Très rarement, le bruit de moteur nous retournait et nous levait le pouce. En trois heures, une vingtaine de véhicules. Des locaux en pickup. Des touristes en Winnebago. Cheveux blancs, plaques de l’Alberta. Pas un. Pas un estie. Pas un estie ne s’est arrêté ou n’a ralenti. Jamais. Tempête de sable et de cailloux. People are mean répétait Assia, qui voulait voir les eaux claires de l’océan Arctique avant de retourner à Calgary… Et moi m’y baigner ! People are selfish. On s’est mis à réfléchir au sens absurde de cette totale absence d’humanité ; de cette antipathie primaire au fin sommet du monde. Pour te faire respecter, tu dois être motorisé(e). Sinon, ça veut dire que t’es pauvre et que tu ne vaux rien. People are afraid of people. Deux filles de petite taille, peu de bagages, pas de pancarte. La route ne mène nulle part ailleurs ! On a débandé solide et philosophé, amères, sur ce monde d’abrutis qui carburent au pétrole, à la peur et à l’argent. On a hurlé des blasphèmes bien salés et on a continué à marcher dans ce qui s’écrit sans cesse sans laisser de traces. On a vu un jeune renne égaré traverser au galop. On s’est fait suivre par un renard qui ne voulait rien manquer de nos éclats. Fuck Tuk ! La flute en guise de répulsif à grizzlis, on a bifurqué dans la marge de la route vers le Mackenzie. Lui, pas couillon pour deux sous, nous a accueillies le cœur ouvert au creux de son courant. Monter vers l’océan par voie fluviale… Ah… Rêve toujours! Bouah… ! La bouette mouvante jusqu’aux genoux ! Des gentils goélands, herring gull, nous ont plutôt laissé squatter leur petite ile de paradis. À notre humble avis, les bêtes à moteur ont encore beaucoup de croutes à manger pour les accoter !
Kronik Inuvik
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