En suivant les débats entre les candidats à l’investiture démocrate américaine, une question me taraude : comment se fait-il que les Canadiens et les Américains qui partagent un continent et la plus longue frontière non militarisée au monde, soient si différents ?
Les démocrates les plus à gauche osent proposer ce qui semble aller de soi de ce côté-ci de la frontière. On les accuse d’être socialistes et pour une partie appréciable d’Américains, le socialisme semble être le summum de l’obscénité.
Cette perception m’amène à réfléchir sur les nombreuses différences entre ces deux nations voisines et surtout l’origine de ces différences.
Le 28 juillet 2019, Bernie Sanders, candidat à l’investiture démocrate, s’est rendu à Windsor en Ontario en compagnie de plusieurs personnes pour se ravitailler en insuline. Il a fustigé les compagnies pharmaceutiques et dénoncé les couts exorbitants des médicaments aux É.-U.. Bernie Sanders plaide souvent pour un système de santé universel similaire à celui du Canada et des pays scandinaves.
Ceci n’est pas sans rappeler que des Sioux avaient appelé la frontière canado-américaine, la Medicine Line, car elle semblait être dotée de pouvoirs magiques.
En effet lorsque pourchassés de leurs territoires de chasse aux États-Unis, ils s’enfuyaient vers le Nord, car la cavalerie américaine était obligée de s’arrêter au niveau du 49e parallèle, même en pleine poursuite, parce qu’elle n’était pas autorisée à poursuivre les Autochtones au-delà de cette ligne.
Le fait français
L’anglais est la langue la plus parlée dans les deux pays, mais l’idée des deux peuples fondateurs, quoique contestable, est au cœur de l’histoire du Canada.
Les Canadiens français occupent une place prépondérante au Canada, contrairement aux Hispaniques, qui malgré leur nombre croissant, ne sont pas aussi influents aux États-Unis.
Le français et les institutions du Québec au moment de la colonisation seraient la cause profonde des différences majeures entre les États-Unis et le Canada, selon le sociologue américain Jason Kaufman.
Il soutient que ces différences remonteraient aux stratégies que les Britanniques et les Français ont utilisées pour coloniser le continent nord-américain. Les stratégies différaient dans la manière d’allouer des terres aux colons, mais dans tous les cas de figure, il y eut la présomption que les Européens pouvaient s’arroger les terres sans compenser ni consulter les populations autochtones.
La couronne française a retenu le contrôle de la terre dans un système que Kaufman qualifie de féodalisme flexible, avec une distribution ordonnée des terres cultivables le long des cours d’eau.
L’économie fut la raison de l’établissement de la Nouvelle-France. Les Français espéraient trouver de l’or et de l’argent, mais tout comme les Espagnols en Amérique du Sud, cela n’arriva pas. Les « diamants » rapportés par Jacques Cartier s’avérèrent être des cristaux de quartz d’où l’expression « faux comme un diamant du Canada ».
Mais depuis les débuts, les Français purent capitaliser sur une autre ressource, la fourrure, et notamment, les peaux de castors. Une grande partie des hommes de la Nouvelle-France passaient la majeure partie de l’année dans les bois, non seulement pour maintenir leurs lignes de trappage, mais aussi pour faire du troc avec les peuples autochtones en vue d’obtenir des fourrures.
Des guerres eurent lieu au début de la colonisation, mais dès la fin du XVIIe siècle, il devint clair que la cohabitation pacifique entre les différentes Nations autochtones et les Français serait mutuellement avantageuse.
La Grande Paix de Montréal fut négociée et signée en 1701 par 40 représentants de différentes nations et l’establishment français. Cela conduisit à des relations relativement cordiales entre les peuples autochtones et les Canadiens français.
Les nombreux conflits entre les colons anglais aux États-Unis et les Peuples autochtones expliquent cet état continuel d’incertitude armée qui a laissé une marque indélébile dans la psychè des Américains. Depuis leur fondation, les États-Unis s’appuient sur la violence pour vaincre « les forces de l’ombre » qui peuvent être les Indiens, d’autres nations hostiles ou des individus sans scrupules.
Depuis l’époque des cowboys jusqu’au 11 septembre 2001 en passant par la guerre froide et le « danger communiste », les exemples de ces guerres/croisades contre le Mal abondent.
Le résultat direct de ces relations violentes entre les colons et les peuples autochtones fait que la proportion de personnes qui se réclament d’ascendance autochtones est beaucoup plus faible aux États-Unis comparée au Canada.
L’esclavage et la traite des Noirs ont laissé des blessures profondes aux É.-U., mais c’est la confrontation constante avec les peuples autochtones qui a établi le profil de violence de la société américaine. Des milices établies pour combattre les peuples autochtones ont été les premières organisations communautaires formées par les Américains.
Le Second Amendement de la Constitution américaine adoptée en 1791 répond à la mentalité de la légitime défense d’une bonne partie de la société américaine et reste la justification du refus de règlementer la possession des armes à feu.
Le « socialisme » à la canadienne
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Canada et les provinces se sont dotés d’un filet de sécurité sociale beaucoup plus solide que ce qu’on peut trouver chez le voisin du Sud. Et ceci malgré le fait que les États-Unis ont instauré un programme de réformes sociales au lendemain de la grande dépression des années 1930.
Par exemple le Régime de pensions du Canada n’a vu le jour que 30 ans après le New Deal de Roosevelt.
Mais au début des années 1970, des puissantes et riches forces conservatrices se sont employées, avec succès, à défaire systématiquement les réformes du New Deal.
L’immigration et les valeurs canadiennes
Est-ce bien la stratégie de colonisation utilisée en Nouvelle-France et les Institutions du Québec qui expliquent les différences entre les Américains et les Canadiens ?
Comment alors expliquer que la question identitaire semble préoccuper davantage les Québécois que le Canada anglais qui serait à priori plus proche des États-Unis ?
On ne compte plus les débats portant sur les questions identitaires et opposant les adeptes du multiculturalisme, de l’interculturalisme et de la convergence culturelle.
Avant la loi sur la laïcité de la Coalition Avenir Québec, il y a eu la proposition de la Charte des valeurs québécoises par le Parti québécois.
Pour un certain nombre de Québécois, l’immigration semble être une menace aux acquis de la Révolution tranquille et la perception d’un retour de la religion, cette fois-ci musulmane, dans les affaires publiques et hérisse l’opinion publique.
On verra comment le débat qui semble opposer l’immigration aux valeurs canadiennes se déroulera cet automne durant la campagne électorale fédérale.
Comment les vagues d’immigration qui se sont succédées au Canada et aux États-Unis ont influencé et influencent encore les sociétés d’accueil ?
J’aime croire que les immigrants renforcent les valeurs du Canada, car ils aspirent tout autant que leurs prédécesseurs à la paix, à l’ordre, à la justice sociale et la bonne gouvernance.
L’immigration,
ça compte ?
Peu importe les raisons des différences observées entre le Canada et les États-Unis, le constat est que le Canada est une société qui prône l’égalité des chances, garantit une meilleure chance de mobilité et de promotion sociale et économique, une meilleure répartition des revenus que son voisin du Sud.
Oui, le rêve américain semble avoir traversé la frontière magique, la Medicine Line. Et merci à la Providence de m’avoir placée de ce côté-ci de la Ligne magique.
Un petit bémol pour terminer : selon un récent sondage Léger, une majorité de Canadiens souhaitent réduire l’immigration et le ministère fédéral de l’Immigration a lancé une campagne de sensibilisation appelée « l’immigration ça compte » pour rappeler les bienfaits de l’immigration.
Comme quoi la magie ne s’opère plus automatiquement ici non plus, il faut la stimuler !