le Samedi 24 mai 2025
le Jeudi 8 avril 2021 16:32 Société

Abus sexuels : la police a besoin de formation

Abus sexuels : la police a besoin de formation
00:00 00:00

« Les victimes doivent être soutenues et il faut éviter de causer des souffrances supplémentaires » – Louise Elder, Conseil du statut de la femme des TNO

Des agents de la GRC des Territoires du Nord-Ouest ont besoin de plus de formation pour bien s’occuper des enquêtes d’agression sexuelle. C’est l’une des recommandations d’un comité indépendant qui a examiné des dossiers qui n’ont pas mené à des accusations. De son côté, la GRC assure qu’elle agira.

La GRC a tenu une conférence téléphonique, le 1er avril, afin de faire la lumière sur les conclusions de la première d’une série d’examens du comité. Celui-ci est composé d’intervenants du milieu, dont le Conseil du statut de la femme des TNO, et de représentants au ministère de la Justice. Il s’est réuni à deux reprises, en décembre 2019 et en juin 2020. Il a révisé sept cas d’agression sexuelle, choisis au hasard, pour lesquels la preuve était considérée insuffisante pour déposer des accusations, incluant des enquêtes classées « sans fondement ».

Les objectifs : s’assurer que les enquêtes sont complètes et impartiales, identifier les lacunes systémiques et rétablir la confiance des victimes d’agression sexuelle grâce à une collaboration entre les policiers et les groupes d’intervenants. Le comité va se réunir à nouveau en avril et à l’automne prochain.

Bien que le comité ait noté que la GRC des TNO a « mené des enquêtes complètes, rapides et adaptées aux traumatismes », il a relevé que certains policiers expriment des opinions non pertinentes dans leur rapport, semblant ainsi méconnaitre les mythes sur le viol et la notion de consentement. D’où la recommandation de « formation supplémentaire » pour ces derniers, peut-on lire dans le communiqué de la GRC.

« On révise constamment nos politiques afin de s’améliorer, dit le coordonnateur en matière de lutte à la violence familiale de la GRC des TNO, le caporal Jesse Aubin. Les membres du comité servent les survivants d’agressions sexuelles dans nos collectivités et on veut apprendre et bénéficier de leurs connaissances. »

Des exemples de mythes sur le viol ? Penser qu’il n’y a pas de violence à caractère sexuel si les partenaires sont dans une relation, si la personne ne se défend pas ou si la personne ne semble pas blessée. Et, rappelons-le, sans consentement, c’est une agression sexuelle. L’accord doit être donné volontairement par chacune des parties avant de s’engager dans une activité sexuelle et peut être retiré à tout moment.

 

Lot d’enquêtes non fondées

En 2017, une enquête du quotidien The Globe and Mail a révélé qu’une plainte sur cinq pour agressions sexuelles déposée au pays entre 2010 et 2014 a été classée comme non fondée. Les Territoires du Nord-Ouest faisaient piètre figure en deuxième position, avec 30 % de plaintes non fondées, derrière le Nouveau-Brunswick (32 %). L’enquête a mis au jour de graves lacunes au sein de la police dans le traitement des plaintes pour agression sexuelle.

La GRC a réagi et, en 2019, a commencé à mettre sur pied des Comités d’examen des enquêtes sur les agressions sexuelles dans l’ensemble du pays, s’inspirant du modèle de Philadelphie. Dans cette ville américaine, des groupes de défense de victimes révisent les dossiers sans fondement et évaluent les enquêtes policières depuis plusieurs années.

La GRC a introduit des formations pour diminuer le nombre de dossiers classés non fondés et a développé de nouveaux critères de classement, affirme le caporal Jesse Aubin. « Aux TNO, quand une enquête est classée sans fondement, un superviseur doit désormais obligatoirement la réviser », dit-il.

« C’était alarmant de voir ces pourcentages », se rappelle la directrice générale du Conseil du statut de la femme des TNO, Louise Elder, lors d’une entrevue virtuelle. Son organisme avait milité pour que les enquêtes soient révisées.

« Le taux est passé à 17 % en 2019 pour les cas non fondés aux TNO et à 10 % au Canada », note-t-elle, tout en consultant les plus récentes données de Statistiques Canada. « Je pense que c’est grâce à la surveillance accrue, aux efforts de groupes de défense, et probablement grâce à une prise de conscience dans les forces policières. »

« Si on était parfait, on n’aurait pas besoin d’avoir de comité d’examen, on n’aurait pas besoin de révisions et de demander de l’aide aux intervenants du milieu », dit le caporal.

Tous les membres de la GRC aux TNO reçoivent ainsi déjà une formation pour lutter contre les préjugés et pour bien comprendre les lois entourant le consentement et les mythes dans les cas d’agression sexuelle, énumère-t-il. Plusieurs dispositions du Code criminel canadien traitent de la notion de consentement. Un autre cours obligatoire porte aussi sur la compréhension des traumatismes et vise à ce que les policiers comprennent mieux les épreuves que traverse une victime.

« On continue à regarder pour d’autres formations et, par exemple, un cours d’enquête sur les agressions sexuelles spécifique pour les membres de la GRC aux TNO est en développement, dit le caporal. Ce cours prendra en compte le contexte unique du Nord, de notre clientèle et de sa diversité. »

 

Approche collaborative

Le comité a scruté chacun des sept dossiers dans les moindres détails, misant sur la qualité plutôt que la quantité, affirme la directrice du Conseil du statut de la femme des TNO.

Elle assure que son organisation n’a ressenti « aucune réticence » de la part de la GRC dans tout le processus. « Notre approche est collaborative, pas punitive, dit-elle. On critique chaque dossier. On passe à travers une liste de critères en cherchant un consensus parmi les membres du comité et on donne nos réactions. On dialogue et on collabore avec la GRC. Ça reflète comment on vit et comment on travaille aux TNO. »

Le comité a aussi conclu que certains dossiers n’étaient « pas suffisamment documentés et manquaient de contexte », détaille le communiqué de la GRC. Il conseille que « les enquêteurs expliquent plus en détail le processus d’enquête aux victimes » et « permettent à ces dernières de faire une déclaration à un policier du sexe de leur choix ». Enfin, lorsqu’il s’agit de jeunes victimes ou d’enfants, le comité recommande à la GRC de « consulter les parents et les tuteurs et les services sociaux » ainsi que « d’autres groupes de soutien de la GRC qui ont de l’expérience en interrogation des enfants pour s’assurer de suivre les pratiques exemplaires ».

Tout est pris en considération, assure le caporal Jesse Aubin, qu’il s’agisse d’améliorer les pratiques de policiers individuellement, le système, les politiques ou les formations. « Les superviseurs des détachements avec qui j’ai parlé après l’examen ont tous très bien accueilli les recommandations », dit-il.

Les policiers qui ont émis des opinions dans leur rapport recevront ainsi l’encadrement nécessaire.

La GRC va par ailleurs apporter un changement pour le comité qui siègera bientôt en avril. Un intervenant provenant d’une petite collectivité s’ajoutera aux membres, à la demande du comité, afin de mieux prendre en compte cette réalité.

En 2019, les TNO ont enregistré le plus haut taux de violence sexuelle au pays, rappelle Louise Elder, soulignant ainsi l’importance d’améliorer les services aux victimes. « On veut que les Ténois qui subissent des violences sexuelles reçoivent le meilleur service possible. Les victimes doivent être soutenues et il faut éviter de causer des souffrances ou des traumatismes supplémentaires. La recherche est claire : la réponse immédiate qu’elles reçoivent, souvent de la part de la police, est cruciale dans le choix de porter plainte et dans la confiance au système. »