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le Jeudi 6 mai 2021 17:11 Société

Il y a un nouveau Colonel en ville

Il y a un nouveau Colonel en ville
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Le restaurant KFC est de retour à Yellowknife après presque six ans d’absence. Les Ténois amoureux de poulet frit n’ont pas manqué le rendez-vous, tandis que des chercheurs se fascinent pour cet attachement particulier.

2080 jours. Ou 5 ans, 8 mois et 11 jours. C’est le temps qui se s’est écoulé depuis la fermeture du précédent KFC et l’ouverture très attendue, lundi, du nouveau restaurant.

Lundi. 10 h. L’établissement ouvre ses portes dans une demi-heure. Une trentaine de personnes, fébriles, font la file pour le service au comptoir. Plus d’une douzaine de voitures sont alignées pour la commande à l’auto.

Vera Peddle, les yeux pétillants et le ventre qui gargouille, trépigne en file avec sa nièce. « Ça fait longtemps que je n’en ai pas mangé, je n’en peux plus d’attendre ! », lâche-t-elle. Originaire de Terre-Neuve-et-Labrador et à Yellowknife depuis 28 ans, elle se lèche les doigts d’avance à l’idée de croquer enfin dans du Poulet frit Kentucky servi, frais, dans sa ville.

Mais la Ténoise en a mangé il y a moins de 2080 jours : elle a souvent fait l’aller-retour entre Yellowknife et Grande Prairie pour visiter sa mère. Chaque fois, elle s’arrêtait au KFC de High Level, dans le nord de l’Alberta. « J’y allais juste pour aller chercher du poulet, dit-elle. Sur Facebook, je demandais si des gens en voulaient et je revenais avec une quinzaine de barils ! »

Près d’elle, Gail Cyr affirme être déçue que personne n’ait dormi sur place pour l’ouverture, avant d’éclater de rire. Celle qui réside à Yellowknife depuis 1974 et originaire du Manitoba est venue avec un amie pour se rassasier et rapporter un baril de poulet pour des sans-abris à l’Armée du Salut.

 

Recherche académique

Kentucky Fried Chicken a été la première chaine de restauration rapide à s’installer à Yellowknife, en 1968. Cela explique en partie sa popularité. La fermeture du restaurant, qui a servi du poulet pendant 47 ans, a déclenché une vague d’émotions.

« Il y a eu un déluge de commentaires sur les articles à propos de la fermeture et sur Facebook, rapporte la professeure titulaire à l’École des sciences de l’activité physique à l’Université d’Ottawa et anthropologue des cultures, Audrey Giles, qui fait des recherches auprès de communautés autochtones aux Territoires du Nord-Ouest, au Nunavut ou dans le nord de l’Alberta. Les gens étaient indignés, chagrinés et tellement passionnés ! J’ai pensé que c’était un excellent sujet de recherche. »

Entre en jeu, entre autres, Meghan Lynch, stagiaire postdoctorale de l’Université de Toronto qui s’intéresse à des enjeux liés à la nutrition. Elle analyse les réactions. « Les gens s’expriment sans filtre dans les commentaires, c’était fascinant et polarisé. Certains étaient pour la fermeture, écrivant que le taux d’obésité ou de diabète allait baisser juste grâce à ça. À l’opposé, d’autres écrivaient à quel point c’était un endroit important pour eux, pour leurs familles et leurs amis et partageaient leurs beaux souvenirs. »

Fait intéressant : la façon dont les commentaires étaient formulés a révélé que les gens pour la fermeture, selon la chercheuse, étaient « principalement de l’extérieur de Yellowknife ». Ceux contre venaient de Yellowknife. Ou des collectivités.

« Je pense que chaque personne dans le Nord a déjà été dans un avion où ça sentait le Poulet frit Kentucky. Des passagers en rapportaient dans les collectivités pour eux, pour les autres, pour des événements et pour des mariages », dit Audrey Giles qui, elle-même, voyage régulièrement dans le Nord depuis une vingtaine d’années.

Pourquoi KFC est devenu un incontournable ? « Parce que ça goute le Sud, ça goute la ville et c’était le premier fastfood », résume Audrey Giles. Y trouvaient leur compte tant les gens du Sud qui avaient le mal du pays, que ceux des collectivités pour qui c’était « comme une gâterie spéciale qu’on trouvait juste en ville », dit-elle.

« Manger du KFC est devenu une tradition », renchérit Meghan Lynch.

Selon une histoire rapportée par CBC en 2016, c’en était une pour l’anniversaire de mariage d’un couple. L’année suivant la fermeture du restaurant, le mari a conduit 1400 km pour qu’ils se délectent du précieux poulet.

« Cette histoire est vraiment quelque chose, dit Audrey Giles. Conduire 1400 km pour du poulet démontre un niveau de dévouement vraiment inspirant. » Elle ne parle pas ici du geste romantique, mais bien de la valeur culturelle d’aliments !

La vague d’émotions liée à l’ouverture a de nouveau étonné la professeure. « Ç’a fait les nouvelles nationales malgré qu’il y ait une éclosion de cas de COVID-19 à Yellowknife, c’est fascinant ! »

D’ailleurs, la cérémonie d’ouverture officielle de coupure du ruban, où avaient été invités le chef des Dénés Yellowknives de N’dilo, Ernest Betsina, et celui de Dettah, Edward Sangris, a été annulée le matin même à cause de l’éclosion de COVID-19.

Pas de coupure de ruban, donc. Sur place, deux hommes au bout de la file refusent de s’identifier : « Il ne faut pas que nos femmes sachent qu’on est là ! », lancent-ils en riant. Parions que l’odeur des 11 épices secrètes sur leurs vêtements les trahira !

Si la file au comptoir finit par raccourcir après l’ouverture des portes, celle à la commande à l’auto ne cesse de s’allonger.

Quatre agents de la sécurité municipale s’occupent du trafic. À midi, la file de voitures s’étend au-delà de l’intersection des routes Old Airport et Range Lake. Y patientent Kelly Joy et sa fille, toutes deux nées à Yellowknife : « C’est une journée historique pour Yellowknife ! On va attendre aussi longtemps que nécessaire ! »

Lundi seulement, le KFC de Yellowknife a servi environ 3000 clients, selon le directeur des opérations, Sumeet Arora.