Woniya Thibeault a passé 73 jours à essayer de survivre dans un lieu isolé des TNO. Elle raconte dans son livre comment le lien avec les animaux et la terre lui a permis de ne jamais se sentir seule, malgré l’absence de contact humain.
En septembre 2019, une équipe d’une chaine de télévision est venue à Yellowknife pour produire une série de survie en téléréalité. Un hélicoptère a déposé dix personnes, une à une, dans des lieux isolés quelque part dans le bras est du Grand lac des Esclaves. Chaque personne était laissée seule, et devait rester sur le territoire qui lui a été assigné, sans possibilité de contacter d’autres humains.
Chaque participant ne pouvait emporter plus de dix objets parmi une liste restreinte d’articles qui excluait les armes à feu, le matériel de pêche, les briquets ou le carburant, parmi bien d’autres. Le tout était filmé avec de petites caméras gopro pour réaliser la sixième saison de Alone.
Le principe était simple : voir qui pouvait tenir le plus longtemps en survie ? Le candidat qui resterait le plus longtemps en lice recevrait un prix de 500 000 dollars.
Woniya Thibeault a presque gagné la compétition. Elle est arrivée deuxième et a tenu 73 jours avant d’être évacuée pour cause d’inanition. Mais deux ans plus tard, elle deviendra la première femme à remporter le prix d’une saison d’Alone, cette fois au Labrador.
Bien qu’elle n’ait pas gagné, elle a écrit un livre sur cette première expérience aux TNO : Never Alone, disponible pour l’instant uniquement en anglais, arrive cette semaine dans les librairies. Le 22 juin, l’auteure américaine viendra à Yellowknife pour une séance de dédicaces au centre d’accueil des visiteurs de Yellowknife (Centre Square Mall) de seize à 17 heures.
Dans les premières pages du livre, elle explique ce qui l’a poussée à se lancer dans une telle aventure : « Je voulais faire Alone pour l’expérience. Je voulais aussi le faire bien, voire le gagner. Il me semblait important de représenter une approche totalement différente de la survie en milieu sauvage, car les images que nous voyons habituellement sont celles d’hommes grands et forts, le plus souvent ayant reçu une formation militaire, avec des couteaux de la taille de leur avant-bras attachés à leurs cuisses et un sac rempli de gadgets tactiques fantaisistes. L’implication, qu’elle soit subtile ou explicite, est qu’ils sont là pour botter les fesses de la nature. Je voulais montrer au monde que vivre dans la nature n’implique pas nécessairement de la combattre. Pour moi, il s’agit de savoir que je fais partie de la nature et que je suis humblement disposée à apprendre à la connaitre et à y participer. »
La nature au cœur du livre
L’une des qualités du livre est que Woniya ne se lance jamais dans un style vaniteux et prétentieux, bien au contraire : elle semble aborder son défi avec humilité et un désir de connexion. Pendant la préparation de l’aventure, elle a tenu à rencontrer les peuples dénés de Lutsël K’é et a toujours fait référence au lac par son nom déné : Tu Nedhé.
Les 80 premières pages sont consacrées à la préparation. Elle parvient à entrainer le lecteur dans une longue réflexion sur les objets qu’elle doit choisir d’apporter, en tenant compte des limites des règles imposées. L’idée de la production était de rendre la survie possible, mais très difficile. Avec les armes à feu et les cannes à pêche interdites (seuls les hameçons sans ardillons et le fil monofilament étaient autorisés), elle décide de prendre un arc en bois.
Son entrainement au tir à l’arc révèle déjà sa volonté de connexion. Woniya écrit : « On ne peut pas tirer en ayant l’esprit ou le cœur ailleurs. On doit être pleinement présent : l’arc est une extension de notre corps, la flèche une extension de votre volonté. C’est une méditation au sens littéral du terme, et c’est pourquoi les bouddhistes zen comptent parmi les meilleurs archers du monde. Ces moments de concentration et le bruit sourd de la flèche dans la cible m’ont permis de rester sain d’esprit ».
Le jour du départ pour l’aventure, le pilote qui les a fait décoller de Yellowknife leur a dit qu’il gagnait sa vie en emmenant des gens au milieu de nulle part, mais qu’il n’avait jamais emmené un groupe qui essayait de survivre dans cette région à cette époque de l’année. « Bonne chance, les gars », a-t-il dit en riant, incrédule. « Mieux vaut vous que moi. »
Elle y a séjourné de la mi-septembre à la fin de novembre. « Le seul contact humain, c’était lorsqu’ils venaient faire des contrôles médicaux », a expliqué Woniya à Médias ténois. Ces rencontres avaient lieu toutes les trois semaines pour s’assurer que chaque participant était suffisamment en bonne santé pour rester seul. « Je n’avais aucun contact humain, j’étais donc seule, mais je faisais partie d’une immense communauté naturelle. Je voyais donc les oiseaux, les animaux, les arbres, les plantes et même les rochers et le lac comme des compagnons. Je me sentais profondément liée au monde naturel qui m’entourait, et même si je n’étais pas avec d’autres humains, je ne me sentais pas seule. »
Ce sentiment de connexion est également explicite dans un passage du livre où elle raconte une rencontre avec un lynx roux au cours des premières semaines : « Le bruit de mon mouvement l’a alerté et il a levé la tête vers moi. Nos yeux se sont croisés et nous nous sommes tous les deux figés. Ce qui est remarquable, par contre, ce n’est pas le contact visuel que nous avons eu, mais le fait qu’à un certain moment, le lynx roux a commencé à se détendre. Vraiment se détendre. Ses paupières se sont abaissées et sa tête a hoché. Il s’est rattrapé et est redevenu alerte, comme un enfant endormi à table qui se rattrape juste avant de faire une chute, puis il s’est assoupi à nouveau, son menton tombant sur ses pattes. À ce moment-là, j’ai su que je ne me sentais pas seulement plus sauvage, mais que j’étais vraiment plus sauvage. Le fait que ce prédateur timide se sente suffisamment à l’aise pour s’endormir en me regardant en face en était la preuve. »
Woniya Thibeault (Photo : Cole Barash – The HISTORY Channel)
En communion avec la nature
Il y a deux choses qui intimident généralement ceux et celles qui se lancent dans une telle aventure : le froid et la faim. Au téléphone avec Médias ténois depuis son domicile en Californie, Woniya reconnait que les deux éléments – la faim et le froid – sont un défi, bien que la faim ne l’ait « jamais effrayée ». « C’est vrai que c’était physiquement inconfortable quand j’avais faim, mais il m’est arrivé de souffrir d’hypothermie et c’est cela que m’a vraiment fait peur parce que j’avais peur de perdre l’usage de mes doigts et de ne plus pouvoir allumer un feu. C’était donc une menace plus immédiate que la faim. Il faut beaucoup de temps pour mourir de faim, mais on peut mourir d’hypothermie en quelques heures si on ne peut pas se réchauffer. » C’est ce qui lui est arrivé lorsque, après quelques semaines, elle s’est enfin décidée à prendre un bain pour se laver le corps et les cheveux. On peut lire à un moment donné : « Je n’ai pas seulement un peu froid, je m’en rends compte. Je suis dangereusement gelée. Pour la première fois depuis mon arrivée, je ressens une pointe de peur. Ce n’est pas un accident dangereux ou une rencontre avec un prédateur vorace qui m’a finalement effrayée, mais les conditions environnementales quotidiennes combinées à mon propre manque de jugement. »
En mangeant des baies, des herbes et, lorsqu’elle avait de la chance, des lapins et des écureuils, elle a fini par perdre 22 kilos en 73 jours. Comme on peut l’imaginer, dans les 350 pages du livre, il y a de nombreux paragraphes consacrés à la faim et à la recherche de nourriture. « Les crampes de mon estomac rétréci sont devenues un tel élément de mon monde que je ne les perçois presque plus. Cette fois, alors qu’elles se tordent à l’intérieur de moi, je suis profondément consciente de la douleur et du temps qui s’est écoulé depuis que j’ai eu quelque chose à ce vide. »
Après plusieurs jours passés à manger des baies et à être frustrée de ne pas réussir à pêcher ou à chasser, elle arrive enfin à attraper un tétras avec son arc. Au téléphone, elle nous raconte encore que l’un des souvenirs les plus marquants est celui de sa première rencontre avec un lapin dans les pièges qu’elle avait tendus. « C’était un grand moment pour moi, et cela m’a vraiment fait sentir que je pouvais être là à long terme et potentiellement rester tout l’hiver, ce qui était à peu près mon objectif. »
Elle évoque un autre fait marquant de toute l’aventure, et ici plus propice à la contemplation. « Un autre grand moment a eu lieu après le gel, lorsque j’ai vu le plus beau coucher de soleil de ma vie, alors que la glace était très transparente et que le ciel se reflétait aussi bien en dessous qu’au-dessus de moi. C’était comme si j’étais complètement engloutie dans le plus magique des couchers de soleil. C’était un moment très profond et très beau. »
L’aventurière dit que la leçon la plus importante de ses 73 jours était de comprendre « l’impact de notre attitude mentale sur la façon dont nous nous sentons physiquement et sur notre capacité à faire tout ce que nous décidons de faire. Avoir une attitude positive, de la gratitude, et rechercher des leçons et des cadeaux dans tout ce que nous trouvons difficile ». Elle souligne également que « c’est ça qui détermine la façon dont nous vivons notre vie, plus que les circonstances extérieures ».
Même si elle n’a pas remporté le défi de la survie, Woniya avoue avoir vécu une expérience remarquable, comme elle l’explique : « Il existe peu de choses aussi transformatrices que de se sentir vu et retenu par un lieu sauvage intact, de se fondre dans le monde naturel qui nous entoure et de se considérer non pas comme séparé, mais comme une partie importante et précieuse de ce monde, de ressentir une appartenance si profonde qu’il n’y a plus de solitude. »